Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/699

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec la France. Parbleu ! les peuples sont bien à plaindre lorsqu’ils tombent en de pareilles mains. Allez au plus vite[1] ! »

Pendant que ces choses se passaient à Bayonne, à Vittoria toutes les ames étaient agitées par la peur et l’irrésolution. Plusieurs grands personnages étaient accourus des villes et des provinces voisines, moins encore pour faire hommage à leur jeune roi que pour l’avertir des dangers auxquels l’exposait son imprudente démarche. L’un d’eux surtout, l’ancien ministre Urquijo, le supplia dans les termes de la plus chaleureuse éloquence de ne point continuer ce fatal voyage. Il prophétisa tous les malheurs qui allaient bientôt accabler la maison royale ; il dit que, depuis la proclamation du 5 octobre 1806, il avait toujours été convaincu que Napoléon méditait de renverser la dynastie régnante en Espagne, comme absolument contraire à l’élévation de la sienne. « Ce dessein avait été suspendu jusqu’à une occasion favorable. Les malheureux démêlés du père avec le fils venaient de la lui offrir. Quel était donc l’objet du voyage du prince ? Comment le souverain d’une monarchie telle que celle de l’Espagne et des Indes avilissait-il sa dignité aussi publiquement ? Comment le conduisait-on vers un royaume étranger sans invitation, sans préparatifs, sans toute l’étiquette ordinairement observée, enfin sans qu’il eût été reconnu roi d’Espagne ? » Ces paroles impressionnèrent le prince et ses conseillers ; mais ils ne savaient plus comment revenir sur leurs pas. Bien qu’il fût encore en Espagne, Ferdinand n’était plus libre. Le général Verdier occupait avec plusieurs milliers de soldats la ville et les environs de Vittoria. Le maréchal Bessières était à Burgos avec le gros de ses forces. Nos colonnes parcouraient en tous sens les routes du Guipuzcoa et de la Navarre. Le prince était cerné de toutes parts. Sous prétexte d’honorer son rang, nos troupes le gardaient à vue. Pour se dérober à leur surveillance, il aurait fallu fuir, la nuit, sous un déguisement, et s’exposer à tomber entre leurs mains. Au fond, il n’y avait pas d’autre parti à prendre. Les bons conseils à cet égard ne lui manquèrent pas, et chacun revendiqua l’honneur de se dévouer pour lui. M. d’Urquijo proposa un plan d’évasion : le prince s’échapperait par une nuit profonde de Vittoria, gagnerait les montagnes de l’Aragon, et là, au milieu d’une population fidèle et brave, il attendrait ce qu’aurait résolu l’empereur. De son côté, M. d’Urquijo se rendrait à Bayonne et poserait à Napoléon l’alternative de reconnaître immédiatement Ferdinand VII comme roi d’Espagne ou d’entrer en guerre. Un autre personnage, le duc de Mahon, gouverneur de la province de Guipuzcoa, offrit de conduire le prince par des chemins détournés jusqu’à Bilbao, et là, d’assurer sa fuite par mer. Tous ces avis furent accueillis avec reconnaissance comme des témoignages

  1. Mémoires du duc de Rovigo, volume III, pages 308 et 309.