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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/74

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et le Soligeios, ne peuvent avoir été bâties que par des agresseurs venant de la mer et débarqués sur la côte orientale du Péloponnèse. De l’existence de ces forteresses et de la tradition constante qui les attribue aux premiers conquérans doriens, on peut conclure que la conquête du Péloponnèse n’a point été rapide, et qu’elle a eu lieu non par l’effort momentané d’une seule horde, mais par une suite d’attaques successives opérées sur plusieurs points. Il m’a paru que, dans la discussion de ces événemens, la vraisemblance est toujours du côté de M. Grote.

Les dernières pages du second volume sont consacrées au récit des premières conquêtes des Spartiates dans la Messénie et dans l’Argolide et à l’analyse des institutions extraordinaires attribuées à Lycurgue. O. Müller, partant de cette idée que la conquête de Sparte fut le but principal de l’immigration dorienne, a vu dans la constitution de Lycurgue l’expression la plus complète de ce qu’il appelle le Dorismus, c’est-à-dire des mœurs et du caractère dorien. Malgré tout le talent déployé par l’érudit Allemand pour soutenir cette opinion, elle est réfutée de la manière la plus complète par M. Grote. En effet, à quelle époque les lois de Lycurgue ont-elles été établies ? Sur ce point, l’histoire est muette, et les légendes n’offrent que les plus grandes incertitudes. Que si l’on cherche des renseignemens dans l’étude même de ces institutions, il est impossible, en les examinant avec soin, de ne pas reconnaître qu’un travail lent et successif les a produites. Ici encore le procédé ordinaire de la légende a obscurci l’histoire, et le législateur Lycurgue lui-même a tout l’air d’une de ces personnifications héroïques qui résument sur une seule tête l’œuvre de plusieurs générations. Loin d’être l’expression de l’esprit dorien, les institutions de Sparte ne sont qu’une exception, aussi bien parmi la horde dorienne que parmi les autres Grecs. Le seul point de ressemblance qu’on puisse alléguer entre les Spartiates et le reste des Doriens, c’est la syssitie ou les repas en commun qu’on trouve établis en Crète aussi bien qu’à Lacédémone ; mais d’abord on ne peut dire si, en Crète, cet usage était particulier aux Doriens, ou bien s’il était répandu parmi les autres habilans de l’île. En outre, la syssitie crétoise n’avait de commun avec celle de Sparte que la forme et non l’esprit de l’institution.

M. Grote analyse avec beaucoup de soin la constitution de Lycurgue, et cependant il fait justice de plus d’une fausse opinion accréditée telle est, par exemple, celle qui attribue à Lycurgue un partage égal du territoire et qui fait de la loi agraire le fondement de sa législation. Un préjugé semblable a existé au sujet des lois agraires chez les Romains. Vers le déclin de Sparte, il se fit contre le despotisme de l’oligarchie une réaction qui, cherchant des armes partout, feignit de trouver dans les vieilles Rhètres de Lycurgue une tendance démocratique qu’elles n’avaient jamais eue. Un même motif a fait attribuer à