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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/753

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d’ouvrir à l’art musical de glorieuses destinées et de le faire participer au mouvement de la société moderne. Les idées esthétiques que M. Berlioz a jetées en courant dans ses écris, et qu’il a résumées plus tard avec plus de méthode dans son Traité d’instrumentation, en les dégageant des obscurités ambitieuses qui les accompagnent, peuvent se réduire aux points suivans : traduire, au moyen de la symphonie accompagnée de la déclamation lyrique, les diverses émotions de la nature humaine ; mêler les péripéties sanglantes du drame aux extases de la contemplation, les fureurs de la passion avec les caprices charmans de la fantaisie et les langueurs divines de la rêverie ; faire rire et pleurer tour à tour ; confondre tous les genres dans un vaste tableau ; peindre enfin le fleuve de la vie, tantôt grossi par les orages, et tantôt reflétant en ses eaux limpides les rivages enchantés qu’il traverse ; reproduire par les couleurs de l’instrumentation les bruits, le scintillement et les harmonies infinies du monde extérieur. Cette théorie, à laquelle nous donnons ici une précision qu’elle n’a jamais eue dans l’esprit de M. Berlioz, on peut fort bien l’accepter en musique, pourvu que l’on en comprenne bien la signification.

Tous les arts ont commencé par l’imitation plus ou moins exacte des objets visibles et des phénomènes de la nature. C’est le procédé de l’enfance de l’esprit humain que nous pouvons encore étudier chaque jour autour de nous. La peinture, la sculpture, l’architecture et même la poésie se sont d’abord essayées à reproduire l’image grossière du monde extérieur, sans que l’artiste osât y ajouter une modification qui en altérât la vérité matérielle. Ce n’est qu’avec le temps, lorsque l’homme se fut arraché à cet étonnement naïf causé par le premier aspect de l’univers, lorsqu’il eut pris possession de lui-même et perfectionné les instrumens de sa pensée, qu’il peignit la nature en épurant ses formes, en l’éclairant, en la pénétrant du souffle de sa vie intérieure. Telle est la marche qu’ont suivie tous les arts en général. La nature extérieure n’a de signification et de formes arrêtées, que celles que nous lui prêtons ; c’est notre œil qui en mesure la grandeur et la revêt de ses couleurs ; c’est notre oreille qui en précise la sonorité et, qui forme de ses mille bruits épars, un concert harmonieux ; elle ne vit, elle ne respire, elle ne parle que par nous. Nous nous mirons dans ses eaux, nous nous sentons gémir dans le frémissement de ses forêts. Elle réfléchit notre image ; elle est la confidente de nos peines et de nos désirs ; elle rit et pleure avec nous, elle est l’écho de notre ame ; aussi change-t-elle d’aspect et de forme avec la disposition morale, où nous nous trouvons. Je ne sais plus dans quel conte d’Hoffmann le diable, déguisé sous la figure humaine et se tenant derrière un artiste qu’il regarde peindre un paysage, lui dit : « Mon ami, vous êtes amoureux. — A quoi voyez-vous cela ? — A la manière dont vous peignez ces arbres, car vous ne les verriez pas ainsi, si vous n’étiez pas amoureux. » Le monde extérieur n’est donc que le symbole de la vie que nous lui communiquons, que le milieu matériel qui réfléchit la passion, le théâtre où s’accomplissent les catastrophes de l’ame. C’est ainsi qu’ont pensé tous les vrais philosophes et tous les grands artistes. Que la science, fouille avec son scalpel dans les entrailles de la matière pour y chercher le secret de Dieu, à la bonne heure ; mais que les arts comme les muses se tiennent au sommet de la colline, qu’ils chantent le cœur humain, ce qu’il croit voir et ce qu’il croit entendre à travers les sentimens qui l’agitent.

Ceci est vrai surtout de la musique, dont les moyens d’imitation sont si bornés.