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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/836

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le railleur Philoxène : Denys pourtant écrivait sur les tablettes d’Eschyle, qu’il avait achetées à grand prix dans l’espoir qu’elles l’inspireraient. Les Béotiens eux-mêmes eurent leurs jeux scéniques, comme le prouve une inscription rapportée par Boeckh ; les Thessaliens pareillement, puisque Alexandre, tyran de Phères, le plus cruel des hommes, fondait en larmes lorsqu’il voyait jouer Mérope par le fameux Théodore. On sait ce que raconte plaisamment Lucien de l’enthousiasme des Abdéritains pour Euripide : sous le règne de Lysimaque, s’il l’en faut croire, une épidémie les tourmenta ; un comédien célèbre leur avait joué l’Andromède, et voilà qu’ils couraient tous par les rues, maigres et pâles, et déclamant comme lui :

« O amour ! ô tyran des hommes et des dieux ! »

Les rois macédoniens poussèrent jusqu’à la passion le goût de la tragédie : Euripide et Agathon avaient passé leurs dernières années à la cour d’Archélaüs. Philippe, son successeur, ne fêta pas moins les poètes, et traita les acteurs avec beaucoup de munificence et de bonté ; on le voyait souvent au théâtre, et c’est même dans un théâtre qu’il fut tué. Alexandre, non content de traiter magnifiquement les comédiens, eut toujours auprès de lui deux poètes, c’étaient Néophron et Antiphane, et il déclamait lui-même souvent de longs morceaux de tragédies qu’il savait par cour. Une troupe dramatique suivait soit camp dans toutes ses conquêtes ; c’était peut-être un moyen de civilisation en même temps que de divertissement. Nous voyons que Bonaparte en usait de même. Dans une note autographe datée d’Égypte, outre des fournitures d’artillerie, il demande : « -1° une troupe de comédiens ; 2° une troupe de ballarines ; 3° des marchands de marionnettes pour le peuple, au moins trois ou quatre ; 4° une centaine de femmes françaises. » Alexandre, à Ecbatane, où se célébrèrent des jeux funèbres en l’honneur d’Héphestion fit venir de Grèce trois mille comédiens. Ses successeurs l’imitèrent. Antigone, entre autres, proposa de grands prix pour les artistes dramatiques. Les rois de Pergame les favorisèrent également ; mais ce fut surtout en Égypte, à la cour des Ptolémées, princes lettrés et amis des arts, que le théâtre fut en honneur. Pline parle de la magnifique ambassade qu’ils envoyèrent au-devant des deux poètes comiques Philémon et Ménandre. Ils traitèrent avec autant de largesse les poètes tragiques, et consacrèrent aux représentations théâtrales des sommes immenses. — En Judée même, tant c’était un goût universel, Hérode avait fait bâtir deux théâtres, l’un à Césarée, l’autre à Jérusalem.

C’est ainsi que, partie d’Athènes, la tragédie grecque, quoique dégénérée et mourante, se répandait partout. Les Romains la rencontrèrent à chaque pas, lorsqu’ils s’emparèrent de l’Asie. Lucullus, qui, en allant combattre Tigrane, « enchantait les villes sur son passage par des spectacles,