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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/840

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dramatique, elle instituait des cérémonies figuratives, multipliait les processions et les translations de reliques, et composait enfin ces offices qui sont de véritables drames : celui du Prcesepe ou de la crèche à Noël ; celui de l’Étoile et des trois rois à l’Épiphanie ; celui du sépulcre et des trois Maries à Pâques, où les trois saintes femmes étaient représentées par trois chanoines, la tête voilée de leur aumusse, ad similitudinem mulierum, comme dit le Rituel ; celui de l’Ascension, où l’on voyait, quelquefois sur le jubé, quelquefois sur la galerie extérieure, au-dessus du portail, un prêtre représenter l’ascension du Christ[1]. » - En même temps donc l’église essayait, avec des morceaux des tragédies profanes, de composer des tragédies chrétiennes. C’est une de ces œuvres singulières qui nous est parvenue sous le titre de la Passion du Christ. On croit que cette pièce est du IVe siècle, et on l’attribue généralement à saint Grégoire de Nazianze, quoiqu’il paraisse difficile, après l’avoir lue, de l’imputer à un si savant écrivain.

Au reste, ce monument vaut la peine d’être analysé, ne fût-ce que pour sa bizarrerie. C’est un long centon, tiré notamment de six tragédies d’Euripide, savoir, Hippolyte, Médée, les Bacchantes, Rhésos, les Troyennes, Oreste. Aussi a-t-il été fort utile pour la récension de ces pièces. Le sujet est non-seulement la passion du Christ, mais la descente de croix, l’ensevelissement, la résurrection, et enfin l’établissement du christianisme. C’est même ceci qui est évidemment la raison et le sens du drame tout entier. Ce dessein ne manque pas de grandeur ; mais l’exécution y répond-elle ?

La pièce est précédée d’un prologue, comme les tragédies d’Euripide. Les personnages principaux sont : Le Christ, la Mère de Dieu, Joseph, un chœur de femmes (parmi lesquelles Magdeleine), Nicodème, et deux autres personnages, dont l’un appelé Théologos, le théologien, doit être saint Jean[2], et l’autre est un jeune disciple.

L’exposition se fait par un couplet de quatre-vingt-dix vers que prononce la Mère de Dieu. Les trente premiers, imités du début de la Médée, sont raisonnables ; les voici en abrégé : « Plût au ciel que jamais le serpent n’eût rampé dans le jardin et n’eût épié en embuscade sous ces ombrages ; le traître ! » Ève n’eût point péché et n’eût point fait pécher Adam ; le genre humain n’eût point été damné, et n’eût pas eu besoin d’un rédempteur ; et moi je n’eusse pas été, vierge-mère, réduite à pleurer sur mon fils qu’on traîne en justice aujourd’hui. Le vieillard Siméon l’avait bien prédit au moyen de cette transition du vieillard Siméon, arrive une autre trentaine de vers moins raisonnables ;

  1. C. Magnin, Origines du théâtre moderne.
  2. Comme saint Grégoire de Nazianze est le seul père qui porte un titre par lequel on distingue l’évangéliste saint Jean, c’est peut-être une des raisons qui lui ont fait attribuer cet ouvrage.