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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/851

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I.

Avant 1818, l’attention de l’Espagne, exclusivement absorbée par les mines d’or et d’argent de ses possessions continentales, ne s’était guère arrêtée qu’à de longs intervalles sur les Antilles. On s’obstinait à ne voir dans ces colonies que des entrepôts ou des stations militaires, nullement des provinces capables d’enrichir un jour la métropole. Cette indifférence du gouvernement espagnol à l’égard des îles est écrite à toutes les pages de ce fameux code des Indes qui les régit, informe compilation de lois hétérogènes, décrets incohérens, que l’Espagne appliquait indifféremment à toutes ses colonies ultra-atlantiques, sans tenir compte de différences de climats, de mœurs et de populations. Le nom des Antilles en général, pas plus que celui de Cuba, ne se lit nulle part dans ce code étrange dont ces îles étaient les premières victimes. Basées sur le monopole, de telles lois pouvaient ne pas trop entraver les progrès des provinces minières du continent américain, lesquelles, n’ayant à exporter que des métaux précieux, dont le placement est toujours sûr, s’inquiétaient peu que leurs produits allassent à l’Espagne ou à toute autre nation ; mais, si la prohibition ne contrariait en rien le développement de ces colonies, elle devait avoir une tout autre influence sur le développement des colonies purement agricoles, telles que l’île de Cuba.

Aussi, de 1511, époque à laquelle commence la colonisation de Cuba, à 1774, date du premier recensement opéré dans l’île, c’est-à-dire dans un espace de deux cent soixante-trois années, la population blanche atteignit à peine le chiffre de quatre-vingt-seize mille habitans. Cuba languissait, pauvre et déshéritée du gouvernement, tributaire à la fois de l’Amérique et de l’Europe, obligée d’emprunter à l’une l’or de ses mines, à l’autre le grain de ses campagnes, la farine de ses moulins. Chaque année, les galions venus du Mexique, du Chili et du Pérou, qui apportaient à la colonie l’argent nécessaire au paiement de l’armée et de l’administration, à l’entretien des citadelles, des arsenaux et des ports, se croisaient dans la rade de la Havane avec les navires espagnols qui y déposaient les denrées indispensables aux habitans. Tant que l’Espagne avait conservé la suprématie maritime, les approvisionnemens de l’île avaient été assurés, la petite population de Cuba s’était maintenue calme et heureuse, mais, depuis que le pavillon des rois de Castille ne régnait plus en maître sur les océans, la colonie s’était vue soumise à de cruelles vicissitudes. Au premier coup de canon tiré par les puissances européennes, des flottes ennemies avaient traversé les mers, des corsaires sortant de Saint-Thomas et de toutes les îles du voisinage avaient bloqué les ports, intercepté les routes d’Espagne et des Indes. Les galions n’arrivaient plus, les fariniers de la Péninsule avaient