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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/869

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France inaugurait à peine sa courte ligne de Saint-Étienne, que déjà des locomotives, venues des États-Unis, franchissaient la distance de Güines à la Havane (1837), remorquant des milliers de quintaux de café et de sucre. Ce premier essai ayant réussi, on ne songea plus qu’à en tenter d’autres ; des compagnies s’offrirent de toutes parts pour soumissionner l’entreprise de différentes lignes jugées faciles et productives. L’île de Cuba possède aujourd’hui dix chemins ou embranchemens principaux en pleine exploitation. L’Espagne n’a pas même encore ouvert les études de ses premiers tracés.

Ces travaux faits dans un pays neuf en industrie, dépourvu de mines et d’usines, sur une côte accidentée, furent conduits avec tant de tact et d’économie, que le prix moyen du mille anglais prêt pour l’exploitation ne dépassa jamais 17,000 piastres, tandis que la même distance aux États-Unis, où les travaux de ce genre s’exécutent au meilleur marché, ne coûte pas moins de 20,000 dollars (plus de 100,000 francs)[1]. Ainsi, pendant que les pays les plus civilisés de l’ancien monde disputaient encore l’exécution de leurs rail-ways, l’île de Cuba avait déjà les siens, et préparait activement cette vaste ceinture qui doit entourer l’île entière de cinq cents lieues de fer[2]. Un mouvement analogue s’opérait dans l’industrie agricole. Cuba fut une des premières colonies qui appliquèrent les procédés ingénieux de MM. Desrone et Cail à la fabrication des sucres.

C’est par de tels progrès, réalisés tour à tour dans l’agriculture, dans la fabrication et dans les transports, que les Cubanes sont parvenus à maintenir le bas prix de leurs produits, à résister à la concurrence étrangère, à s’ouvrir même de nouveaux marchés. Leurs navires, chassés des États-Unis, ont pris la route du Yucatan, de Carthagène et du Mexique. A Vera-Cruz, à Tampico, à Campêche, leurs sucres et leurs cafés luttent avantageusement, malgré le trajet parcouru et les droits de douane, contre les cafés et les sucres indigènes produits aux environs de ces villes. Ce qui étonne plus encore que ce déploiement admirable d’intelligence et d’activité, c’est la fidélité scrupuleuse avec laquelle l’île paya toujours à sa métropole le tribut qu’elle s’était imposé. Malgré le surcroît de dépenses nécessité par l’exécution des chemins de fer, l’armée, les employés de toute sorte, les juges des divers tribunaux, les marins de la station, recevaient toujours leur traitement intégral. Les recettes du fisc suffisaient à tout, et chaque année 30 à 35 millions de francs en argent monnayé partaient, à la demande de la reine, pour Cadix ou pour la Corogne.

  1. En Belgique, le mille coûte en moyenne 210,000 fr., et en Allemagne, 200,000.
  2. On prépare en ce moment à Cuba l’essai d’un chemin de fer atmosphérique. Ce système rendrait faciles les communications avec le centre de l’île, où les accidens de terrain ne permettent pas l’usage de la traction par locomotives.