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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/89

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et pleins de distinction. Au-dessus du sourcil droit de l’inconnu, une longue et mince cicatrice se dessinait en blanc sur son front découvert. C’était, sans nul doute, le beau jeune homme dont Perico m’avait le matin même fait le portrait. Rendait-il grace à Dieu de l’avoir arraché au danger, ou le remerciait-il d’aimer et d’être aimé ? La question resta douteuse pour moi, et d’ailleurs les dévotions qui donnaient matière à ces conjectures furent subitement interrompues. Effrayé par le bruit des voitures, un cheval rebelle aux efforts de son cavalier vint heurter violemment l’échelle au haut de laquelle un sereno allumait un réverbère suspendu aux murs de la caserne de La Acordada. Le sereno tomba d’une hauteur de quinze pieds, et resta sans mouvement sur le pavé. Il me serait facile de décrire la stupeur du malencontreux cavalier à la vue du sereno privé de connaissance et peut-être mortellement blessé, car ce cavalier, il faut bien le dire, c’était moi ; mais j’aime mieux raconter ce qui s’ensuivit.

On connaît les habitudes bienveillantes de la populace des grandes villes à l’endroit de ceux qui par malheur commettent d’aussi tristes maladresses. Pourtant on ne se rend peut-être pas un compte bien exact de l’attitude d’une pareille populace au Mexique, surtout vis-à-vis d’un étranger qui n’est pour elle qu’un ennemi naturel. Contenu, malgré sa fougue, au milieu d’un flot pressé de léperos qui ne délibéraient que sur le genre de supplice à infliger à l’auteur désolé d’un pareil crime, mon cheval n’était pour moi d’aucune ressource, et je me surpris un instant à envier le sort du sereno insensible du moins aux atteintes de cette multitude, qui le foulait aux pieds sans prendre de lui nul souci. Fort heureusement le hasard m’envoya deux auxiliaires sur l’un desquels au moins j’étais loin de compter. Le premier fut un alcade qui, escorté de quatre soldats, se fit jour jusqu’à moi, et me dit qu’à ses yeux j’étais convaincu d’avoir causé la mort d’un citoyen mexicain. Je m’inclinai silencieusement. D’après les ordres du magistrat, on chargea le corps du sereno toujours immobile sur un tapestle (espèce de brancard) tenu en réserve dans la caserne pour des cas semblables ; puis, m’invitant poliment à descendre de cheval, l’alcade m’enjoignit de suivre à pied le brancard jusqu’au palais, d’où je me trouverais tout naturellement à deux pas de la prison. Je n’eus garde, on le pense bien, de céder sur-le-champ à cette invitation ; j’essayai de démontrer à l’alcade que le cas exceptionnel où je me trouvais n’autorisait nullement une pareille procession judiciaire. Malheureusement l’alcade était, comme presque tous ses pareils, doué d’une ténacité à toute épreuve, et à tous mes raisonnemens il ne répondit qu’en insistant de plus belle sur le respect dû à la coutume. Je songeai alors à chercher parmi les assistans quelqu’un qui voulût bien me servir de caution, et tout naturellement mes regards se portèrent sur l’endroit où j’avais remarqué,