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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/911

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de 1811 et de 1816 ; telle doit être la marche des événemens sous l’influence de 1846. Dans les crises passées, une mauvaise récolte a élevé les prix pendant deux années. Elle doit en faire autant cette fois. Sur quoi se fonderait-on pour contester la similitude ? Par conséquent, comment qualifier le projet de loi qui vient d’être présenté ? Dira-t-on que c’est de la réserve et de la prudence ? L’homme réservé est celui qui ne fait rien que ce qu’il faut, mais aussi qui fait tout ce qu’il faut. On est prudent lorsqu’on mesure d’un regard sûr les chances de l’avenir, et non pas lorsqu’on ferme les yeux pour ne le pas voir. Le projet de loi me semble d’une imprudence extrême, parce qu’il compromet de la manière la plus grave la popularité du gouvernement, et semble fait tout exprès pour donner désormais un argument à ceux qui lui ont injustement reproché de manquer de sympathie pour les classes ouvrières.

En 1817, on eut la ressource des pommes de terre. Jusqu’alors on les, avait cultivées médiocrement ; on se mit à en planter avec ardeur, et on eut ainsi, dès la fin de 1817, un supplément de nourriture. Cette année, au contraire, la pomme de terre nous manquera. Nos cultivateurs en ont moins planté en 1847 qu’en 1846, par beaucoup de raisons : ils s’en sont méfiés, ou bien ils n’en avaient pas parce qui elle s’était pourrie, ou encore ils ne pouvaient en acheter qu’à un taux excessif. Les céréales de printemps par lesquelles on les a remplacées rendent et valent moins que les céréales d’automne, et cependant le calcul le plus favorable n’attribue à celles-ci, pour une même superficie en culture, que la moitié ou les deux cinquièmes de la puissance nutritive de la pomme de terre. On peut estimer qu’habituellement, depuis quelques années, nous avions de ce tubercule précieux assez pour nourrir une population de quatre à cinq millions, indépendamment de ce qu’en consomment les animaux. Supposez que, tout balancé, le déficit sur cet article soit égal à la ration d’un million d’hommes : la supposition n’a rien d’exagéré, les cultivateurs le reconnaîtront ; il faudra, pour en tenir lieu, au moins 3 millions d’hectolitres de blé. Cette lacune suffirait presque, en temps ordinaire, pour occasionner une hausse. Dans la circonstance actuelle, elle doit retarder le jour où les prix auront retrouvé le niveau commun, à moins que la Providence ne nous gratifie d’une récolte en grains tout-à-fait prodigieuse : or, serait-il sage d’y compter ? On agit pourtant comme si l’on ne pouvait manquer de l’avoir, lorsqu’on s’obstine à ne rien faire ou qu’on se borne à des expédiens sans portée.

Pour quiconque observe avec soin, une fois écartée l’hypothèse d’une récolte merveilleuse, à laquelle il ne faut jamais croire avant de l’avoir dans le grenier, il n’y a pas d’incertitude sur la question de savoir si, pendant la saison prochaine, qui s’ouvrira en juillet et se terminera à