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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/92

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combien je mérite peu le surnom qu’on me donne, c’est que tous les alcades ne me connaissent pas ; mais, de tous ses pareils, celui qui vous poursuit maintenant est le plus fin, le plus rapace, le plus diabolique.

Bien que j’eusse quelque raison de trouver ce portrait exagéré, je me sentis un moment ébranlé, dans ma résolution. Puis Perico me représenta, en termes vraiment pathétiques, le bonheur que sa femme et ses enfans éprouveraient à voir leur bienfaiteur venir leur demander un asile pour la nuit. Ayant à choisir entre deux protecteurs également intéressés, je me laissai convaincre par celui dont l’avidité avait les moins tristes dehors ; je me décidai à suivre de nouveau le lépero.

Cependant la nuit avançait ; nous traversions des ruelles suspectes, des carrefours déserts, des rues inconnues pour moi et remplies d’une formidable obscurité. Les serenos devenaient de plus en plus rares ; je me sentais entraîné vers le fond de ces faubourgs où la justice n’ose pas pénétrer, et j’étais sans armes, à la merci d’un homme dont j’avais entendu l’épouvantable confession. Jusqu’alors le Zaragate, je l’avoue, ne m’avait guère paru trancher beaucoup par ses crimes si effrontément avoués sur une population démoralisée par l’ignorance, la misère et les guerres civiles ; mais, à cette heure et au milieu de ce dédale de sombres ruelles, au milieu du silence de la nuit, mon imagination prêtait à cette figure picaresque de fantasques et colossales dimensions. La position était critique : abandonner brusquement un pareil guide, dans ces quartiers perdus, était dangereux ; le suivre ne l’était pas moins.

— Mais où diable demeurez-vous ? demandai-je à Perico.

Le lépero se gratta la tête pour toute réponse ; j’insistai.

— À dire vrai, reprit-il enfin, n’ayant pas de domicile fixe, je demeure un peu partout.

— Et votre femme, et vos enfans, et cet asile que vous m’offriez ?

J’avais oublié, reprit imperturbablement le Zaragate, que j’avais envoyé hier ma femme et mes enfans à… à Queretaro, mais quant à un asile…

— Est-ce à Queretaro que vous me l’offrez aussi ? demandai-je à Perico, reconnaissant trop tard que la femme et les enfans de cet honnête personnage étaient aussi imaginaires que son domicile.

— Quant à un asile, reprit Perico avec la même impassibilité, vous partagerez celui que les ressources de mon imagination vont me procurer, et que je sais trouver quand mes moyens ne me permettent pas de louer un domicile, car le ciel ne nous envoie pas tous les jours des courses de taureaux et d’autres aubaines semblables… Tenez, ajouta-t-il en une montrant du doigt une lueur vacillante et lointaine qu’on voyait se refléter sur le trottoir de granit, voilà peut-être notre affaire.

Nous avançâmes vers la lueur qui brillait au loin, et je pus bientôt reconnaître qu’elle s’échappait de la lanterne d’un sereno. Drapé dans