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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/97

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Mais, à propos de piastres, seigneur cavalier, continua-t-il en me tendant la main, je me sens en veine, et votre bourse est peut-être encore assez bien garnie ; au cas où je débanquerais le monte, je m’engage à vous mettre de compte à demi dans mon bénéfice.

Je crus prudent de ne pas répondre à cette nouvelle demande du Zarugate par un refus. Le monte allait d’ailleurs me débarrasser pour quelque temps d’une compagnie qui me devenait importune. Je glissai donc quelques piastres dans la main de Perico. Presque au même instant minuit sonna. Un des assistans se leva et s’écria d’une voix solennelle :

— C’est l’heure des ames en peine, prions !

Les joueurs se levèrent, les divertissemens furent suspendus, et tous les assistans s’agenouillèrent gravement. La prière commença à haute voix, interrompue par les répons à intervalles égaux, et pour la première fois on parut se souvenir du but de la réunion. Qu’on imagine ces convives aux yeux éteints par l’ivresse, ces femmes presque nues, réunis autour d’un cadavre couronné de fleurs ; qu’on fasse planer sur cette foule agenouillée les vapeurs d’une atmosphère épaisse, où des miasmes putrides se mêlent aux exhalaisons des liqueurs fortes, et on aura une idée de l’étrange, de l’horrible scène à laquelle j’étais forcé d’assister.

Les prières finies, les jeux recommencèrent de nouveau, mais avec moins d’ardeur. Il y a toujours, dans les réunions nocturnes, un moment de malaise où le plaisir, lutte avec le sommeil ; mais, ce moment franchi, la joie devient plus bruyante et prend l’aspect d’une sorte de délire, de frénésie. C’est l’heure de l’orgie : ce moment allait arriver.

J’avais repris mon poste dans l’embrasure de la fenêtre, et, pour échapper aux sollicitations du sommeil comme à l’air méphitique de la salle, j’avais entr’ouvert la croisée. Interrogeant du regard l’obscurité de la nuit, je cherchais à lire dans les étoiles l’heure qu’il pouvait être, je tâchais aussi de m’orienter au milieu du dédale de rues que j’avais traversé ; mais à peine apercevais-je au-dessus des maisons voisines un coin du ciel, qui, ce soir-là, n’avait pas sa sérénité ordinaire. Je consultai en vain mes souvenirs ; rien ne me rappelait dans Mexico ce canal aux eaux plombées, ces ruelles sombres qui ouvraient perpendiculairement aux deux quais leurs bouches obscures. J’étais complètement dépaysé. Devais-je rester plus long-temps au milieu de cette hideuse orgie ? devais-je affronter les périls d’une tentative d’évasion à travers les rues de ce faubourg écarté ? Pendant que je me posais, sans pouvoir les résoudre, ces questions également embarrassantes, un bruit de pas, des murmures confus, vinrent tout à coup me distraire. Je m’effaçai derrière un des contrevents intérieurs, de manière à voir et à entendre sans être vu. Une demi-douzaine d’hommes ne tardèrent