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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/1018

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que les nombres ne coûtent rien à l’imagination des Hindous. Il advint que Sagara, le père de cette abondante postérité, voulut offrir le sacrifice du cheval. C’est une grande chose que ce sacrifice dans les idées indiennes : les prospérités terrestres et les bénédictions célestes sont attachées à l’accomplissement de cet acte religieux. Cette fois, tout était préparé pour l’offrande, quand un serpent sort de terre, entraîne avec lui la victime et disparaît. Les brahmanes sont consternés, l’interruption du rite sacré peut attirer les plus grands malheurs. Il faut à toute force retrouver le cheval enlevé par une puissance inconnue. Sagara charge du soin de cette recherche ses soixante-dix mille fils. Aussitôt tous se mettent à creuser et à fouiller la terre ; la terre gémit de douleur. Les fils de Sagara exterminent toutes les créatures qu’ils rencontrent. Les dieux et les génies s’épouvantent et supplient Brahma d’empêcher que les terribles enfans de Sagara n’achèvent de détruire le monde. Alors fut entendue, semblable au bruit du tonnerre, la voix des robustes fils de Sagara ; après avoir parcouru la terre et l’avoir partout déchirée, ils revinrent à leur père, et lui demandèrent ce qu’ils devaient faire encore. Sagara, rempli de fureur, leur dit : Creusez, fouillez, et ne revenez que quand vous aurez trouvé le ravisseur du cheval. Les Sagarides recommencent à fendre le sein de la terre. Après avoir trouvé successivement les quatre éléphans qui soutiennent le monde, ils découvrent enfin le ravisseur, c’était Vichnou lui-même. Le cheval paissait à quelque distance ; les intrépides fils de Sagara reprochent à Vichnou son larcin et le menacent, mais la bouche du dieu irrité fait entendre un frémissement sourd, et les soixante-dix mille Sagarides sont réduits en poussière. Un petit-fils de Sagara est envoyé à la recherche de ses oncles ; il s’enfonce courageusement dans la route souterraine qu’ils ont ouverte, et ne trouve plus rien d’eux qu’un amas de cendres ; à cet aspect, il gémit et se livre au désespoir, parce que l’eau manque pour faire à ses pareils morts une libation funèbre. Le roi des oiseaux, qui se trouvait être son grand-oncle, le console en lui disant que la déesse Ganga descendra des demeures célestes dans les profondeurs de la terre, et que son eau divine, en touchant les cendres des Sagarides, les ranimera. Le jeune homme ramène le cheval à Sagara, qui achève son sacrifice ; mais il s’agit maintenant d’accomplir une autre œuvre bien difficile, il faut découvrir un moyen de faire descendre du ciel la déesse Ganga[1]. Après trente mille ans de règne, Sagara meurt sans l’avoir trouvé.

Cependant les rois de sa race amassent un grand trésor de mérite par des austérités continuées durant des milliers d’années. À ces anciens rois

  1. C’est le Gange. M. de Chezy, dans une brochure spirituelle publiée à l’occasion du Paria de Casimir Delavigne, reprochait au poète français d’avoir fait dire à Néala qu’elle était l’épouse du Gange, le Gange étant une déesse dans la mythologie indienne.