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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/107

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ont acceptées par dévouement. D’où vient aujourd’hui cet éloignement singulier pour les postes de haute responsabilité ? A quoi tient cette disette d’hommes politiques chez une nation qui possède de précieuses richesses intellectuelles, qui a toujours été assez heureuse pour trouver dans son sein et sous sa main les hommes de talent dont elle avait besoin ? On peut dire que la Providence ne répand pas avec prodigalité ces dons précieux dont l’ensemble constitue les hommes d’état ; on peut faire remarquer que dans ces temps de démocratie paisible, où les grandes existences individuelles sont rares et donnent d’ailleurs peu de titres à la faveur publique, où les fortunes médiocres sont la règle générale, il est naturel que les emplois modestes, mais assurés, soient avidement recherchés, tandis que les positions élevées, mais périlleuses et précaires, sont prudemment évitées. C’est précisément parce que telle est la pente du temps et des esprits, parce que l’ambition vulgaire est trop fréquente en France et la grande ambition trop rare, qu’il y a lieu de se demander si la manière dont le pouvoir est aujourd’hui constitué chez nous n’ajoute pas encore à ces tendances fâcheuses. Le nombre et l’organisation des départemens ministériels ne sont pas aujourd’hui en France bien différens de ce qu’ils étaient sous l’ancien régime, et sont à très peu de chose près les mêmes que sous l’empire. Les affaires ont doublé cependant ; elles sont devenues mille fois plus complexes et plus délicates. Il ne s’agit plus seulement d’agréer au monarque, d’être bon administrateur ; il faut savoir vivre avec le maître le plus rude et le plus capricieux qui fût jamais, c’est-à-dire avec le pouvoir des assemblées délibérantes. Il faut avoir à tout instant l’avantage sur tous ses contradicteurs, non pas seulement par le fond et par les solides raisons, mais par la forme, par l’esprit et par la dextérité de la parole. Les conseils de la couronne doivent être composés de neuf ministres seulement, mais de neuf ministres infatigables, prêts à tout, impeccables et universels, véritables Protées, qui, sous le poids d’une lourde responsabilité, sont tenus de se multiplier sans cesse. Il leur faut, dès le matin, écouter tous les solliciteurs qui se seront adressés à eux, et pourvoir à l’expédition des affaires de leur département ; plus tard, ils ne sauraient manquer de se trouver à l’une ou l’autre chambre, prêts à faire face à toutes les attaques, à confondre toutes les calomnies, sous peine d’être convaincus de négligence ou d’incapacité, et cela sans loisirs, sans trêve, sans repos. Est-il étonnant que cette vie dévorante de la politique ait épuisé déjà bien des natures robustes, que celles qui résistent encore soient quelquefois saisies de profonds découragemens ? Ne comprend-on pas que des situations si compromettantes soient peu enviées ? Il serait raisonnable cependant, il serait utile pour le pays, de les mettre à la portée d’un plus grand nombre d’aspirans. Si les cabinets renfermaient des élémens plus nombreux, non-seulement le