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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/1077

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celui qui instituait des comités pour la distribution des soupes, et qui était en tête du plan ministériel, ne donna pas lieu à grande discussion. C’était une loi d’urgence ; elle fut poussée avec célérité dans les deux chambres. La seconde lecture en fut votée dans la chambre des communes le 2 février, dans la chambre des lords le 15, et la sanction royale y fut donnée le 26. Ce qui préoccupait par-dessus tout l’opinion publique, ce qui, au dedans et au dehors du parlement, soulevait les discussions les plus passionnées, c’était la loi des pauvres. Le ministère sentait que c’était un grand pas ; il hésitait, tergiversait. Il avait présenté le bill, mais il ne se pressait pas de le faire avancer. M. Roebuck était tous les jours à ses trousses, sans lui laisser un moment de relâche, et soulevait sans pitié de continuelles tempêtes parmi les irascibles Irlandais. La clause principale de la loi des pauvres, la seule réellement fondamentale, c’était celle qui rendait obligatoire la distribution de secours aux indigens valides (able bodied paupers). Les propriétaires disaient, et avec raison, qu’une telle clause serait pour eux un arrêt certain de ruine ; que l’entretien non pas seulement des indigens invalides, non pas seulement des pauvres admis dans les maisons d’asile, mais de tous les individus sans travail, était une tâche au-dessus de leurs forces, et que la taxe des pauvres non-seulement absorberait, mais dans beaucoup de cas dépasserait le chiffre total de leur revenu. De l’autre côté, on leur répondait : « C’est possible ; mais ces trois ou quatre millions d’individus ne peuvent pourtant pas mourir de faim. Il faut que quelqu’un s’en charge. Si ce n’est pas vous, il faudra que ce soit nous. L’Irlande retombera encore sur l’Angleterre. Chacun pour soi, chacun chez soi.

Ce fut sur ce terrain que s’établit toute la lutte, et elle fut poursuivie de part et d’autre avec une animosité excessive. Les Irlandais accusaient les spéculateurs de la Cité de vouloir les faire exproprier. « Je sais bien, disait sir Henry Barron, que les landlords de l’Irlande sont pourchassés à outrance, afin que les capitalistes anglais se jettent sur leur terres. Voilà la vérité. La clameur publique a été soulevée par l’organe des intérêts marchands. On ameute l’opinion contre nous ; puis, quand on nous aura ruinés, c’est la Cité de Londres qui empochera les rentes. »

Ces prédictions étaient présentées sous des couleurs un peu trop irlandaises, mais elles avaient néanmoins beaucoup de vrai. Il est certain que la plus grande partie des hypothèques qui pèsent sur les terres de l’Irlande sont entre les mains d’hommes d’affaires et de prêteurs d’argent, et que la plupart des expropriations devaient se faire à leur profit. C’est sans doute cette certitude de la ruine prochaine de la moitié des propriétaires d’Irlande qui causait les hésitations et les lenteurs du gouvernement anglais. Il fut long-temps avant de se décider à introduire