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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/1087

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condition. Les pauvres n’ont donc fait que se multiplier, et leur nombre s’est encore accrut de tous ceux qui émigraient autrefois en Angleterre, et qui, dans ces derniers temps, sachant qu’ils trouveraient chez eux de la soupe, y sont restés. Cette invasion, qui effrayait tant l’Angleterre, elle a été refoulée ; le flot est remonté à sa source.

Jusqu’à présent, c’est l’Angleterre qui a payé. Depuis deux jours, elle a dit à l’Irlande : « C’est votre tour. » C’est le 12 de ce mois, c’est dimanche dernier, que la tâche de l’état a cessé, et qu’a commencé celle des propriétaires irlandais. Désormais c’est la terre qui devra payer la taxe des pauvres.

Mais, malheureux pays ! ceux qu’on y appelle les riches sont à peine au-dessus de la condition des pauvres ; ils n’ont pas de rentes, ils n’ont que des dettes. La terre est grevée, obérée ; elle appartient aux prêteurs d’argent. La taxe des pauvres est supérieure au revenu de toute la terre. Dans le nord et dans l’est, où il y a plus d’industrie, plus de richesse, les propriétaires pourront échapper à la ruine ; mais, dans le sud et dans l’ouest, patrie de la misère, c’en est fait d’eux.

Au moment où nous écrivons, la lutte est engagée entre le propriétaire et la loi. Le landlord ne nie pas sa dette, il dit simplement : « Je ne puis pas payer. » Cette résistance passive se produit sur tous les points de l’Irlande. Que fera le gouvernement ? Là où il n’y a rien, dit le proverbe, le roi perd ses droits. Si l’on veut exécuter rigoureusement la loi, les terres des insolvables seront saisies et mises aux enchères ; mais, en admettant que le gouvernement en vienne à cette extrémité, dans quelle carrière nouvelle d’inextricables embarras ne va-t-il pas entrer ? Des terres mal cultivées, couvertes d’une population qui s’y attache comme à une proie, et qu’on ne pourra en arracher que par la force, ne trouveront pas facilement des acheteurs. Le danger éloigne le capital. Si donc l’état confisque la terre, il sera obligé, dans presque tous les cas, d’en rester le détenteur, de la cultiver, de l’exploiter, de la faire valoir. Qui sait ? c’est peut-être le seul moyen de faire quelque chose de l’Irlande ; mais, pour un gouvernement moderne, un gouvernement constitutionnel, et surtout un gouvernement aristocratique, cette introduction d’une loi agraire est une bien dangereuse expérience.

Nous avons cru devoir retracer avec quelque détail l’histoire parlementaire de cette loi des pauvres, parce qu’elle renferme une grande leçon. Cette race de landlords, qui est aujourd’hui si durement frappée, c’était en Irlande le parti anglais, la garnison anglaise. Et par quelles mains est-elle frappée ? Par les mains de l’Angleterre. C’est l’expiation imposée par des complices ; c’est un acte de justice populaire exécuté par une trahison. Nous avons rarement vu dans l’histoire un enseignement plus éloquent.


JOHN LEMMIOINNE.