Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/1134

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans la conversation les anecdotes, les opinions, les préjugés, les passions de toutes les parties de l’Europe ; la liberté la plus complète règne dans ces réunions, où les sujets des princes absolus se dédommagent du silence auquel ils sont condamnés chez eux. On a dit que la révolution française s’était préparée dans les petits soupers du règne de Louis XV : elle a fait à travers le monde trop de chemin pour que les rapprochemens qui s’opèrent à Ems ou à Spa soient aujourd’hui fort nécessaires à sa marche. Qui pourrait cependant nier que des communications amicales entre des hommes de pays différens, dont beaucoup ont abordé les grandes affaires ou sont destinés à les diriger un jour, ne doivent porter quelques fruits ? Des réunions d’où chacun revient guéri de quelque préjugé, avec quelque relation nouée à l’étranger, où l’expérience des uns modère les espérances et les illusions des autres, de pareilles réunions, se reproduisant d’année en année, ne peuvent manquer d’exercer une certaine influence en Europe. Combien, dans les temps passés, n’a-t-on pas vu de négociations échouer ou réussir par suite de circonstances bien plus frivoles ! Et malgré ses.prétentions à la logique, le temps qui court verra encore bien de grands événemens déterminés par de petites causes. Que dit-on de nous hors de France dans ces réunions, dans ces congrès sans pouvoirs, mais non pas sans influence ? La France et son gouvernement sont, particulièrement en Hollande, en Prusse, en Belgique et dans les petits états de l’Allemagne, l’objet de dispositions bienveillantes. La confiance en la sagesse du roi Louis-Philippe est grande, on est convaincu que, lui présent, bien des orages seront conjurés ; mais on craint que les embarras qui peuvent assaillir son règne ne soient ajournés plutôt que résolus, on s’étonne que, lorsque tous les partis et toutes les ambitions qui s’agitent en Europe semblent s’être donné rendez-vous pour le lendemain d’un événement fatal, on laisse accumuler des difficultés qui menacent d’être inextricables pour ses successeurs. Les circonstances actuelles même commencent à exciter d’assez vives appréhensions. De bien des côtés, on aperçoit, dans les craintes de ceux dont nous avons les sympathies, aussi bien que dans l’attitude de nos ennemis secrets, des symptômes inquiétans pour notre influence. Amis et adversaires calculent les conséquences de notre situation financière. Ils remarquent que nous sommes arrivés à une dette flottante de 800 millions. Une nation chargée d’un pareil poids a-t-elle la liberté de ses mouvemens ? L’opinion qu’il nous faut absolument la paix, et que nous aurions peine à supporter le fardeau de la guerre, se propage dans les cabinets étrangers ; elle intimide nos alliés naturels ; elle enhardit nos adversaires. Il y a sans doute dans ces appréciations recueillies à l’étranger beaucoup d’exagération. Si nous les reproduisons, c’est que nous croyons que notre gouvernement peut, avec des résolutions fermes et éclairées, si ce n’est fermer immédiatement les plaies de nos finances, au moins les circonscrire, et assigner, en la rapprochant, l’époque où nos dépenses seront réduites au niveau de nos recettes. Il n’en faudrait pas davantage pour donner à l’Europe l’opinion qu’elle doit avoir de nous.

Nous appliquerions volontiers à la situation intérieure ce que nous venons de dire au sujet de notre politique étrangère : c’est qu’il faut se préoccuper non-seulement du fond des choses, mais des impressions que les événemens et les faits produisent sur les esprits. Il faut sans doute faire la part de l’imagination dans l’espèce de malaise moral auquel on dit le pays en proie ; mais il y a aussi de no-