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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/140

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VIII. – DU COUPLET.

Les poèmes de chevalerie sont divisés en sections d’un nombre variable de vers ; ces sections ont reçu le nom de couplet et elles sont monorimes. Ce n’est pas que l’entre-croisement des rimes fût ignoré ou inusité à la même époque : les poésies légères des trouvères offrent, en fait de croisement, des combinaisons très variées ; mais un usage tout différent avait prévalu pour les chansons de geste : là aucune variété dans la rime, qui ne changeait que de couplet à couplet.

J’ai cru ne devoir complètement ni suivre ni abandonner cet usage. J’ai divisé, il est vrai, en couplets le premier chant de l’Iliade ; mais il m’a semblé que le système monorime était monotone, et, tout en m’y conformant dans certains couplets très courts, j’ai en général admis deux ou trois rimes sur lesquelles roule tout le couplet. Ce procédé a l’avantage d’échapper à la monotonie et cependant d’atteindre le but que se proposaient instinctivement nos anciens poètes, celui de conformer les consonnances au sentiment, à l’idée qui prédomine dans un certain morceau. De la sorte, chaque fois que le sentiment et l’idée changent, les rimes changent en même temps, et en cela je crois avoir suivi, sinon la lettre, du moins l’esprit de la vieille poésie.

Un ton nouveau est donné de couplet à couplet, car la poésie n’est pas sans affinités avec la musique. Tandis que l’une, emplissant l’oreille de sons harmonieux, a besoin, pour les soutenir, d’éveiller dans l’ame ces sentimens qui n’ont pas de paroles et n’atteint que vaguement la pensée, l’autre frappe directement la pensée et flatte en même temps l’oreille par une cadence qui la satisfait. Toutes deux s’adressent à un de nos sens, mais elles partent de là, l’une pour faire vibrer nos dernières fibres, l’autre pour toucher l’intelligence par le charme de la beauté abstraite et du langage qui, seul, sait la révéler. Toutes deux mettent l’ouïe dans leur intérêt ; mais l’une déploie tout ce qu’elle a de puissance et d’habileté pour la captiver, l’autre s’en assure seulement par une sorte de murmure musical.

C’est pour obéir au besoin d’approprier les sons au sujet traité que nos vieux poètes ont imaginé le couplet. Celui qui étudiera les commencemens de notre poésie pour en rechercher historiquement les causes, les conditions et le caractère, sera amplement payé de sa peine. On s’est beaucoup épuisé en conjectures sur la manière dont la langue et la poésie de l’antiquité classique s’étaient formées ; mais les tentatives de ce genre n’ont pas toujours été bien conduites. Il ne faut pas s’engager directement dans le problème, il faut l’attaquer par la voie de la comparaison. Il se trouve que, dans un temps historique, il y a