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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/150

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« Pour ce[1] les fait douloir li Dieux de longue[2] archie
« Que rançon je n’ai pris pour la fille Chrysès.
« Ouï[3], sui desireux l’avoir en ma maînie[4] ;
« M’est plus de[5] Clytemnestre à cœur et enchérie[6],
« Qu’ai à moillier[7] et pair ; et ne lui cède mie
« Pour l’ouvrer[8]-, pour le sens, pour le corps et les traits.
« Mais qu’elle soit rendue, se mieux est, je l’octrie[9] ;
« J’aime mieux soit la gent sauve que maubaillie[10].
« Or tôt préparez-moi un lot pour amendie[11] ;
« Car n’est droits[12] je demeure seuls à main dégarnie[13],
« Et, tout vous le voyez, li guerdons[14] m’est retraits. »


XV.


Si fut dits par Achille mont isnel[15]- et divin :
« Atrides très illustres, tant convoiteux de gain[16] !
«  Comment lot te donront[17] li courtois Achéen ?
« Plus n’avons en commun grand masse de butin ;
« Partagée est la proie des cits[18] qu’avons gâtées,
« Et n’est droits les part[19] soient de la gent rapportées ;
« Rend donc au Dieu la fille ; à toi, nous Achéen,

  1. Que pour cela. Le que est sous-entendu.
  2. Voyez III, note 1. Li dieux est sujet et équivaut au moderne : le dieu.
  3. Oui est de deux syllabes dans les anciens textes.
  4. Famille, maison, compagnons. Dante s’en est servi. Inf., XV, 41 : E poi rigiugnerò la mia masnada.
  5. Plus que Clytemnestre. L’ancien français mettait de après le comparatif, au lieu de que, comme l’italien met di.
  6. Berthe, LX : « Et leur enfant tres tout l’eurent si enchérie. »
  7. Que j’ai à femme et à égale. Berthe, III : « Car celle veuil avoir à moillier et à pair. » On traduit ordinairement ϰουριδίης ἀλόχου (kouridiês alochou) par jeune épouse ; mais Buttmann rejette cette interprétation, et il regarde ϰουριδίη (kouridiê) comme étant, dans Homère, une épithète de la femme légitime par opposition à la concubine. Si l’interprétation de Buttmann est juste (et ce n’est pas ici le lien de pousser plus loin cette recherche), l’expression de nos vieux poètes rend merveilleusement la locution homérique. Par ayant en latin même terminaison pour le masculin et le féminin, pair dans le vieux français n’éprouve pas non plus de modification ; c’est ainsi que pair est au féminin, même sans e.
  8. Travail à l’aiguille. Tous les infinitifs pouvaient se prendre comme des substantifs.
  9. Je l’octroie. Les verbes ainsi terminés avaient deux formes également usitées : octroyer et octrier. De cet usage il nous reste ployer et plier.
  10. Détruite, perdue. Romancero français, p. 12 : « Toute la gent menue et morte et maubaillie. »
  11. Compensation. Roncisvals, p. 26 : « Ces peaux de martre vous doin pour amendie. »
  12. Car il n’est pas juste que je demeure.
  13. Romancero français, p. 13 : « Mais jà ère pour vous de mon cœur desgarnie. »
  14. Ce mot est de trois syllabes dans les anciens textes, guerredon. Cependant la forme contracte était usitée aussi, comme le prouve cet exemple de Couci, II : « Pleine d’orgueil et dame sans guerdon. »
  15. Rapide. L’italien a gardé ce mot, isnello.
  16. Gain est ordinairement de deux syllabes, gaain ; mais on le trouve aussi monosyllabe. Berthe, LXXIII : « A méchef l’ai nourri cest hiver de mon gain. »
  17. Donneront. Voyez X, note 14.
  18. Des cités.
  19. Part, étant sujet pluriel, n’a point d’s. Même remarque pour Achéen.