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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/161

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« A nom, et si est-il plus vaillants[1] de son père ;
« Près Jupiter s’assit à contenance fière ;
« Li Dieu fortuné tremblent, et il laissent les lacs.
« Va, prend-lui les genoux ; et, pour ce souvenir,
« Qu’il fasse grand vigueur à Troyens revêtir[2],
« Et Grégeois jusqu’aux poupes de leurs vaisseaux s’enfuir
« Sanglants, si que tout puissent de leur roi s’éjouir,
« Et que son dam connoisse Atrides à loisir,
« Il à qui n’a chalu le plus vaillant honnir. »

XXXIV.


Ore, en versant des larmes, lui répondit Thétis
« Hé mi ! mar[3] t’engendrai, mar te nourri, beaux fils !
« Que n’es-tu ci séants sans larmes ni soucis,
« Tu cui par destinée peu de temps est promis !
« Mais as tant moins à vivre et tant plus à douloir.
« Par male[4] destinée t’engendrai au manoir !
« J’irai porter au Dieu qui se plait au tonnerre,
« En l’Olympe neigeux ta plainte à bonne fin.
« Tu, sis aux nefs rapides, en ton courroux arrière
« Demeure, et de la guerre évite le chemin.
« Li Dieux est, o les autres, hier[5] allés repas faire
« Es[6] bons Éthiopiens vers l’Océan lointain,
« Douze jours en après[7] à l’Olympe il repaire[8].
« J’irai lors en sa salle, dont li seuils[9] est d’airain,
« Embrasser ses genoux ; m’écoutera, j’espère. »

XXXV.


À ces mots se partit de son fil, qui endure
Grand courroux pour la dame à la belle ceinture,
La dame qui lui fut ravie à male injure.
Jà touche à Chryse Ulysses o l’offrande en sa cure[10].
Tôt dans le hâvre où l’eaue est profonde et séüre[11],
La gent amène et range en la nef la voilure,
Lâche haubans[12], abat au coursier[13] la mâture,

  1. Que son père. Les érudits ne savent pas au juste ce qu’Homère entend par le père de ce géant.
  2. Berthe, CXXVIII : « Mout relut Blanchefleurs de joie revêtie. »
  3. Ce mot, très fréquent dans les vieux poèmes, signifie : d’une manière funeste. Roncisvals, p. 18 : « Guenelon sire, mar fustes engendré. »
  4. Romancero français, p. 31 « Cuena Guis amis, coin male destinée. »
  5. Hier est toujours monosyllabe dans nos anciens poèmes. Molière le fait aussi très souvent monosyllabe.
  6. Chez les bons Éthiopiens.
  7. Roncisvals, p. 88 : « Et en après Gérard de Roussillon. »
  8. R retourne.
  9. Marie de France, la Souris et la Raine : « Qu’elle un jour s’assit sur le seuil. »
  10. Avec l’offrande remise à ses soins.
  11. Sûre. Ce mot est dans les anciens poèmes de deux syllabes : séur.
  12. Roman de Brut, v. 11488 : « Estrems traire, hobens fermer. »
  13. On appelait coursier dans les galères le passage entre les deux rangs de rames, dans lequel on couchait le mât. Tous les termes sont techniques.