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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/234

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de me faire arriver mes lettres dans les différens endroits où je m’arrêterai. Je n’aurais jamais cru qu’on pût prendre de tels arrangemens dans le voisinage de Thèbes ; mais en ce genre je suis décidé à ne plus m’étonner de rien.

Kenéh est la dernière ville d’Égypte qui tienne encore au reste du monde ; située au point où le Nil se rapproche le plus de la mer Rouge, à la hauteur de Cosseir, elle est le passage du commerce que fait l’Égypte avec l’Arabie et des pèlerins qui se rendent à la Mecque ; au-delà, il n’y a plus que les communications lointaines avec le Sennaar et l’Abyssinie. Ici commence cette série non interrompue de monumens qui part de Denderah, franchit à Syène les frontières de l’Égypte, et se prolonge dans la Nubie inférieure jusqu’aux colossales merveilles d’Ipsamboul.


20 janvier.

C’est un moment solennel dans le voyage d’Égypte, celui où l’on découvre le grand temple de Denderah. Les huit colonnes du portique apparaissent intactes, brillantes de couleurs que le temps n’a pas effacées, et surmontées de leurs chapiteaux étranges formés par des têtes de femmes à oreilles de génisses. Voilà une grande ruine parfaitement conservée, voilà un temple encore debout, peint et sculpté, couvert d’hiéroglyphes et de figures ; je vois pour la première fois de l’architecture égyptienne, de l’art égyptien. Les pyramides, ce n’était pas de l’architecture et de l’art ; c’était de la grandeur et de la force. Cependant il ne faut pas trop céder à cet enchantement produit par les premiers monumens qu’on rencontre et qui frappent vivement l’admiration neuve et vierge encore ; il ne faut pas se laisser séduire au point de mettre, comme l’ont fait MM. Jollois et Devilliers, les monumens de Denderah au-dessus de tous les autres monumens de l’Égypte ; il ne faut pas dire «  qu’ils sont les plus parfaits sous le rapport de l’exécution, et qu’ils ont été construits à l’époque la plus florissante des siècles et des arts de l’Égypte. » Sans doute l’architecture que j’ai devant les yeux est admirable et ne diffère pas sensiblement de l’architecture des meilleurs temps de la civilisation égyptienne. Les Égyptiens reproduisaient fidèlement dans les constructions de l’âge le plus récent le type architectural des temps reculés. Toutefois, si de l’architecture on passe à la sculpture des bas-reliefs et des hiéroglyphes, on reconnaît bien vite l’immense infériorité du temple de Denderah comparé aux monumens anciens, par exemple, aux tombeaux voisins et contemporains des pyramides. Le dessin, loin d’être plus gracieux et plus correct, comme le veulent les savans que j’ai cités, est comparativement lourd et grossier. Il ne peut y avoir à cet égard nulle hésitation pour un œil non prévenu ; mais les savans de l’expédition d’Égypte abordaient les