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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/345

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ne se voit pas, ἐν τοῖς μὴ βλεπομένοις. Aussi n’était-il pas facile d’obtenir qu’elle se montrât nue, car elle portait une longue tunique qui enveloppait tout le corps, et elle n’allait jamais aux bains publics ; mais, dans une fête de Neptune à Éleusis, avant laissé tomber ses vêtemens à la vue de tous les Grecs, et dénoué ses cheveux, elle entra dans la mer. Le peintre Apelles saisit, cette occasion, et crayonna d’après elle sa Vénus Anadyomène (c’est-à-dire née du sein des ondes). Elle servit aussi de modèle au sculpteur Praxitèle, qui était son amant. » Au reste, il y eut deux Phryné, comme il y eut deux Aspasie.

Il y eut aussi deux Laïs, qu’il est assez difficile de distinguer. Toutes deux habitaient Corinthe. L’une y était née, l’autre y était venue de Sicile comme prisonnière de guerre ; elle était de la petite ville d’Hyccara. Celle qui était née à Corinthe était, dit-on, la fille de cette fameuse Timandra, maîtresse d’Alcibiade. Un jour, lorsqu’elle était encore toute jeune fille, le peintre Apelles la vit puiser de l’eau à la fontaine de Pirène ; frappé de sa beauté, il l’emmena avec lui à un banquet chez ses amis ; les convives se mirent à le railler d’avoir amené, comme sa maîtresse, une petite fille : « Laissez faire, dit-il, dans trois ans je vous montrerai si j’ai tort. » C’est ainsi que, chez ce peuple grec, spirituel et corrompu, artiste jusqu’à l’immoralité, le beau allait trouver le beau : Aspasie s’unissait à Périclès, Praxitèle à Phryné, la virginité de Laïs était pour Apelles. Le sein de Lais, comme celui de Phryné, servait de modèle à tous les sculpteurs et à tous les peintres. L’autre Laïs, à ce qu’on croit, eut, entre autres amans, Aristippe, le philosophe du plaisir, Diogène le cynique, Démosthènes le grand orateur. « Pourquoi aimer Laïs, qui ne vous aime pas ? disait quelqu’un à Aristippe. — Oh bien ! dit-il, je pense que le vin et le poisson ne m’aiment pas non plus, mais je ne laisse pas d’en user avec plaisir. » Elle conçut un amour passionné pour un athlète nommé Eubate, et lui fit promettre de ne pas partir sans elle ; il partit avec son portrait. L’une des deux Laïs fut assassinée, en Thessalie, par des femmes jalouses de sa beauté ; l’autre survécut à la sienne : dans sa vieillesse, elle dédia son miroir à Vénus, avec une inscription attribuée à Platon, que Voltaire a traduite ainsi :

« Je le donne à Vénus, puisqu’elle est toujours belle ;
Il redouble trop mes ennuis :
Je ne saurais me voir, dans ce miroir fidèle,
Ni telle que j’étais, ni telle que je suis. »

Elle mourut à Corinthe, comme eût voulu mourir Ovide, comme mourut, dit-on, Raphaël.

On pourrait mentionner encore Hipparchie, la plus célèbre des femmes qui embrassèrent la philosophie cynique. Le philosophe Cratès, quoique bossu et fort pauvre, lui inspira un amour si vif qu’elle