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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/370

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théologie. Qu’il y joigne une étude sérieuse de la philosophie ancienne, des opinions plus décidées, une connaissance plus directe des sources, une critique plus pénétrante, un style plus correct, et il pourra donner un jour au public cette histoire de la philosophie du moyen-âge, dont la lecture de son livre fait vivement sentir le besoin.

En passant de M. le duc de Caraman à M. Damiron, nous allons d’un simple amateur de philosophie à un maître éprouvé. Au lieu d’une esquisse superficielle et défectueuse, nous rencontrons une série d’études vraiment approfondies. Voici plus de vingt ans que M. Damiron traçait dans le Globe, d’une plume ingénieuse et délicate, l’histoire de la philosophie contemporaine. En face d’un plus grand sujet, le talent de l’auteur, mûri par l’expérience, a pris plus de gravité. À défaut de cet essor et de cet éclat que donne la jeunesse, on y sent la solidité, le poids, le sérieux d’une forte maturité. Personne d’ailleurs n’était mieux préparé que M. Damiron à l’histoire de la philosophie du XVIIe siècle. En même temps qu’il en a fait depuis plusieurs années le sujet de ses leçons à la Sorbonne, le savant professeur a lu à l’Académie des Sciences morales et politiques plusieurs mémoires qui se rapportent tous à quelque disciple illustre ou à quelque grand contradicteur de Descartes. Enfin M. Damiron a été appelé, au nom de la section de philosophie, à juger les résultats du concours proposé par l’Académie sur le cartésianisme. M. Damiron avait donc sous la main trois sortes de matériaux ses cahiers de professeur, ses mémoires d’académicien et son rapport de juge du concours. En présence de ces richesses, M. Damiron pouvait choisir entre deux partis : l’un, vigoureux et presque héroïque, c’était de laisser toutes ces excellentes choses où elles étaient, et de n’en garder que les pensées les plus générales, pour les faire entrer dans un plan tout nouveau ; l’autre parti, plus modeste, et il faut le dire plus commode, c’était de placer ces différentes pièces à la suite les unes des autres, en les rattachant ensemble d’une manière telle quelle, et se confiant, pour en achever l’unité, à l’analogie des matières et à la sagacité des lecteurs.

Il est regrettable que M. Damiron, par une défiance de ses forces qui n’est point fondée, ait reculé devant le premier parti. Descartes l’eût mieux conseillé que sa modestie. Je cite de mémoire les paroles du maître : « Je m’avisai de considérer, dit-il quelque part, que souvent il n’y a pas tant de perfection dans les ouvrages composés de plusieurs pièces qu’en ceux auxquels un plan unique a présidé. Aussi voit-on que les bâtimens qu’un seul architecte a entrepris et achevés ont coutume d’être plus beaux et mieux ordonnés que ceux qu’on a tâché de raccommoder, en faisant servir de vieilles murailles qui avaient été bâties à d’autres fins. Ainsi ces anciennes cités qui, n’ayant été au commencement que des bourgades, sont devenues par succession de temps de grandes villes, sont ordinairement si mal compassées, au prix de ces places régulières qu’un ingénieur trace à sa fantaisie dans une plaine, qu’encore que, considérant leurs édifices chacun à part, on y trouve souvent autant ou plus d’art qu’en ceux des autres, toutefois, à voir comme ils sont arrangés, ici un grand, là un petit, et comme ils rendent les rues courbées et inégales, on dirait que c’est plutôt la fortune que la volonté de quelques hommes usans de raison, qui les a ainsi disposés. »