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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/375

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complètement le dernier fond des choses, ou qui définirait Dieu comme Schelling : l’indifférence du différent. Jacobi a passé sa vie à protester contre ce dogmatisme superbe et ces formules un peu creuses. Comme Jean-Jacques Rousseau, il ne veut croire qu’au sentiment. Par là, l’esprit de Woldemar est tout semblable à l’esprit d’Émile, et cette philosophie sentimentale était bien faite pour avoir du succès dans le monde, puisqu’elle y rencontrait la sympathie des deux sortes de personnes qui décident les grands succès de ce genre, les femmes et les beaux esprits.

M. Wilm parait avoir une prédilection particulière pour Jacobi, et il expose ses idées avec une complaisance où le lecteur trouve fort bien son compte. Je ne veux pas contredire légèrement le savant critique, mais je trouve qu’il est dangereux de donner à la science et à la vie humaine une base aussi mobile, aussi fragile que le sentiment. On arrive ainsi à cet état ambigu où je vois avec peine incliner beaucoup d’esprits distingués de notre temps. On n’est ni pour, ni contre la philosophie. On n’est pas décidément philosophe, et cependant os n’est pas croyant. C’est-à-dire que des deux grands appuis qui soutiennent l’esprit et le caractère, une foi solide et une conviction raisonnée, on ne possède ni l’un ni l’autre, et l’on flotte au hasard dans le vide.

Mais ce que je ne puis surtout pardonner à Jacobi, c’est d’avoir soutenu contre Mendelsohn que toute philosophie fondée sur la raison est nécessairement panthéiste. Ajoutez à cette énormité une seconde proposition qui n’est pas moins fausse et moins dangereuse, savoir que le panthéisme est identique à l’athéisme. Quoi ! mon cœur est religieux et ma raison est athée ! Quoi ! l’athéisme, loin d’être une chimère absurde, est le dernier mot de la raison ! Quoi ! pour croire eu Dieu, il faut commencer par abdiquer cette raison que Dieu nous a donnée, et c’est elle qui nous apprend à nous éloigner de son principe !

Évidemment ce sont là d’insoutenables paradoxes, contre lesquels s’élève la conscience de M. Wilm, aussi vivement que la mienne. Ceci m’amène à dire deux mots en terminant de la polémique persistante du clergé contre la raison.

Certains écrivains se sont persuadé de nos jours qu’ils avaient fait une grande découverte en substituant le mot rationalisme au mot philosophie, et en soutenant que le rationalisme conduit nécessairement au panthéisme, lequel, bien entendu, est identique à l’athéisme. On voit maintenant le cas qu’il faut faire de cette merveilleuse invention : c’est la boutade d’un protestant sentimental. Voilà pour la nouveauté de l’idée. Quant au fond, il a été démontré à satiété que soutenir en rigueur que le rationalisme mène à l’athéisme, c’est soutenir que la recherche libre du vrai par les lumières naturelles de la raison aboutit nécessairement à l’impiété, c’est-à-dire qu’il n’y a rien de plus raisonnable que d’être athée et qu’il faut dire de l’athéisme, comme Pascal faisait du pyrrhonisme : C’est le vrai. Battus sur ce point, les écrivains du clergé portent leurs attaques d’un autre côté, et cette évolution de leur polémique est bien marquée dans un livre assez curieux que publie M. de Valroger sur le rationalisme. Il ne me coûte rien de dire que cet ouvrage est celui d’un prêtre éclairé, d’un adversaire très habile et très courtois, d’un dialecticien exercé, d’un homme enfin parfaitement renseigné sur les écrits des philosophes contemporains et qui connaît à la fois les personnes et les choses. Mais, sans vouloir discuter aujourd’hui avec M. de Valroger,