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décider à la retraite. A la tombée de la nuit, bien que l’ennemi n’eût pas encore bougé, le mouvement rétrograde commença. A neuf heures, la place était évacuée, et, le 18 au matin, la division en marche comptait déjà mille hommes de moins, les uns morts, les autres en fuite. Quant aux soldats restés fidèles au drapeau, les plus tristes privations les attendaient. Les épaules chargées de sacs et de chaudières, ces malheureux, dévorés par un soleil ardent, sans eau, sans vivres, continuèrent leur marche, poussant devant eux les bœufs et les mules en nombre insuffisant pour le service du train. Il faut renoncer à décrire les particularités de cette désastreuse retraite, déterminée par une panique inqualifiable. C’était un pêle-mêle d’hommes et de chevaux que la fatigue avait brisés, une marche sans ordre, des campemens sans règle, un intervertissement général de toutes les lois de la discipline. Les cavaliers qui formaient l’avant-garde troublaient sous les pieds de leurs chevaux le peu d’eau qu’on trouvait sur le chemin, et que le soleil corrompait déjà au moment où l’arrière-garde s’y précipitait. Bientôt les cavaliers furent à pied et les chemins furent semés de cadavres. Un ramassis de femmes, de bas-officiers, de domestiques qui marchaient à l’avant-garde, ne se contentaient pas de laisser le soldat sans eau ; ils accaparaient tous les vivres qu’on pouvait trouver pour les revendre ensuite à des prix exorbitans. Chaque jour, chaque heure voyait des soldats tomber frappés d’apoplexie sous l’influence de l’excessive chaleur ou brisés par les fatigues de la route. Enfin, douze jours après l’évacuation, cette division de plus de 5,000 hommes au départ arrivait à Linares et à Monterey, réduite à 2,638. C’était le 29 mai, et le 4 juin suivant le général Arista, donnant sa démission, demandait à passer devant un conseil de guerre.

L’occupation de Matamoros fut suivie bientôt de l’entrée des Américains à Reinosa et à Camargo. Trois états déjà se trouvaient envahis celui de Tamaulipas, de Cohahuila et de Nuevo-Leon ; ils avaient déjà été désignés par les Yankee sous le nom de république de Rio-Grande. Fidèles à leur système de temporisation, les généraux de l’Union essayaient encore de donner le change aux populations conquises ; ils se posaient en libérateurs plutôt qu’en conquérans ; la propagande suivait l’invasion, et un journal, publié dans les deux langues anglaise et espagnole, fut destiné à démontrer que de l’entrée des Américains au Mexique allait dater pour les contrées envahies une ère de merveilleuse prospérité sous le régime auquel les États-Unis devaient leur puissance et leur grandeur. En attendant, les Indiens sauvages poussaient de nouveau du fond des déserts leurs invasions partielles dans l’état même de Cohahuila et dans celui de Chihuahua. La coïncidence de leurs mouvemens avec ceux de l’armée américaine ne laissait que trop suspecter la bonne foi des sauveurs du Mexique. Aussi les essais de propagande