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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/441

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de mai (Mañanas de abril y mayo), On ne badine pas avec l’amour (No hay burlas con el amor), — à côté des plus divins caprices de Shakespeare. Gabriel Tellez, le plus satirique des poètes comiques de l’Espagne, qui a illustré le nom d’emprunt de Tirso de Molina et a marqué de traits si incisifs l’inconstance féminine, ne pénètre pas bien avant dans l’étude morale des passions, même lorsqu’il ne lui arrive point de tomber dans la bouffonnerie comme dans Don Gil aux chausses vertes (Don Gil de las calzas verdes). Ses meilleurs ouvrages sont ceux qui se rapprochent le plus de la véritable comédie d’intrigue ; ce sont les Épreuves de l’amour et de l’amitié, la Jalouse d’elle-même. Ce n’est pas que quelques hommes n’aient essayé de peindre des caractères, de fonder une action sur le développement d’un ridicule finement étudié. Moreto l’a tenté dans el Desden con el Desden, dont la Princesse d’Élide n’est qu’une faible imitation, dans le Beau don Diègue (el Lindo don Diego), qui est la peinture de la fatuité impertinente ; mais c’est plutôt une suite de piquantes observations qui fait le mérite de ces œuvres qu’une analyse savante et profonde. Alarcon lui-même, qui a donné le Menteur à Corneille, a-t-il véritablement rempli les conditions de la comédie de caractère dans sa Verdad Sospechosa ? Ce Menteur du poète espagnol est-il la personnification active et forte d’un travers humain ? Don Garcia, le héros d’Alarcon, est un gentilhomme éventé, plus vain que faux, plus étourdi que menteur. S’il ne dit point un mot qui ne blesse la vérité, s’il se sert, ainsi que l’affirme son valet, de toutes les langues qu’il a apprises à Salamanque pour répandre plus de mensonges, ce n’est pas dans un but méchant, ce n’est point pour surprendre des secrets qu’il veut trahir, pour spéculer sur ses tromperies, pour frayer une route ténébreuse à ses passions ; c’est plutôt par légèreté, par forfanterie de jeunesse. Si quelque sérénade a été donnée sous les balcons, soyez sûr d’avance qu’il vous dira n’y être point étranger ; s’il est bruit dans la ville de quelque duel, il y aura joué un rôle ; il aura même tué son adversaire pour peu qu’on l’en presse ; il vous avouera, si vous voulez, qu’il est marié secrètement ; il vous racontera le roman de sa vie, ses innombrables aventures dont pas une n’est réelle, jusqu’à ce qu’enfin, trébuchant dans un de ses mensonges, il se trouve condamné à épouser une femme qu’il a feint d’aimer et qu’il n’aime pas. Il faut le dire, le mensonge a perdu ici sa laideur morale ; c’est une folle distraction et non pas un penchant pervers. Il en résulte une intrigue ingénieuse, amusante, pleine de surprises pour le spectateur, mais non une peinture large et fidèle d’une des honteuses faiblesses de notre nature.

Molière, avec cette modestie qu’on ne connaît plus et qui donne un si beau lustre au génie, dit, dans une lettre curieuse, que le Menteur, emprunté par Corneille à l’Espagne, avait été pour lui une révélation, un