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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/580

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plus, c’est qu’un Allemand, un Espagnol, un Russe, qui le visiteront à la fois, seront également frappés du cachet franchement original qui le distingue. Sa physionomie a jeté dans un vif étonnement Voltaire comme Montesquieu, l’Italien Alfiéri comme l’Américain W. Irving ; Mme de Staël, une étrangère, l’a vanté avec un enthousiasme excessif, et lord Byron, né dans son sein, n’ayant jamais pu se rompre à ses usages, l’a renié. Il semble qu’on puisse dire de l’Angleterre ce que disait Hérodote de l’Égypte, que ni ses habitans, ni ses coutumes, ni ses monumens, ni son climat, ne ressemblent à ceux des autres nations. Qu’on nous dise un autre pays où la royauté soit entourée de plus de chaînes et où l’on ait pour elle un culte plus fervent, où le caractère du peuple soit plus ombrageux et où il ait à subir plus de privilèges humilians, où la multitude, rassemblée par myriades, prenne des décisions plus violentes et se laisse mieux apaiser par l’expression de la loi, où elle ait en spectacle de plus fastueuses richesses et où elle déploie plus de patience à supporter des maux que la plume se refuse presque à décrire. C’est là que l’on peut trouver mêlés ensemble tous les régimes qui se sont formés sous le soleil pour la direction de l’espèce humaine depuis les jours de la vie patriarcale jusqu’à ceux de la démocratie moderne, car c’est d’un étrange amalgame d’élémens monarchiques et de prérogatives patriciennes, de doctrines républicaines et de traditions gothiques, qu’est composée la société anglaise. Est-elle libérale comme paraîtraient le faire croire ses combats en faveur de la liberté et les harangues de ses grands patriotes ? Mais il n’est pas d’efforts qu’elle n’ait faits pour étouffer les commencemens de notre régime représentatif, et elle s’applaudit chaque jour de voir jouer dans son mécanisme politique des ressorts qui paraîtraient odieux dans le gouvernement de Venise ou de Carthage. A-t-elle du penchant pour le despotisme ? Mais elle vous répondra, par l’organe de son jurisconsulte Delolme, que le parlement peut tout faire, excepté d’un homme une femme ou d’une femme un homme. — Semblé-je extravagant si je soutiens qu’elle reproduit en partie la hiérarchie tyrannique des castes hindoues ? M. Nougarède en effet vous expliquera quelles divisions profondes séparent entre elles la nobility, la gentry, la commonalty, et à quelle distance ces diverses classes se tiennent les unes des autres. Il vous racontera sur la situation respective des gentlemen et de ces parias que l’on appelle des nobodies des anecdotes qui peuvent servir de commentaires à tel chapitre de M. d’Israëli. Est-ce à dire que les faces sous lesquelles cette société se montre à l’observateur sont fort tranchées ? Non vraiment, car il est de notoriété publique que tous les enfans de l’Angleterre semblent sortis du même moule ; mais il faut ajouter que chez eux les diversités individuelles sont fondues en un caractère unique par l’état particulier sous lequel ils vivent : ils sont contraints par la force des choses d’avoir plus que personne l’esprit d’intérêt que tout le monde a. De là cette nature tenace, intraitable, qu’on voit en eux à tous les degrés de leur échelle sociale ; de là ce génie tout pratique, cet immense orgueil qui est le mal anglais au moins autant, et ce n’est pas peu dire, que la vanité est le mal français.

Que l’invincible éloignement de l’esprit britannique pour les théories, sa tendance à sacrifier les principes aux intérêts, établissent une différence fondamentale entre les Anglais et ce peuple à moitié athénien qui a Paris pour capitale, cela est inutile à démontrer. On a vu maintes fois avec quel dédain s’expriment les hommes éminens de l’Angleterre, même ceux qui se sont laissé le plus pénétrer par l’esprit français, tels que Fox et Canning, sur ces conceptions