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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/582

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tous les secours, tous les trésors qu’elle recèle. Vous le croyez parcimonieux et mesquin parce qu’il est méticuleux dans ses comptes et qu’il prêche sans cesse l’ordre et l’épargne, qui sont les deux règles de l’art d’acquérir les richesses ; mais, pour un but qui en vaut la peine, il jette l’or et ouvre des crédits à pleines mains ; il charge ses budgets et aggrave ses dette sans sourciller. Les règles de l’harmonie et les conceptions idéales sont des choses qu’il ne comprend pas en matière de gouvernement, d’administration ou de beaux-arts ; mais comme négociant il a conçu un type de perfection qu’il propose à l’émulation commune et qu’il poursuit sans relâche. Que l’on y fasse attention, et l’on remarquera que tous ces traits contradictoires, que tous ces efforts du caractère anglais sont marqués du double sceau des deux qualités que signale M. Nougarède : esprit de suite, — esprit d’amélioration, — consistency, improvement.

Il nous resterait beaucoup à dire si nous passions en revue tous les points qu’a traités l’auteur des Lettres sur l’Angleterre. Il a observé d’assez près les mœurs anglaises pour intéresser un lecteur qui ne chercherait dans son livre que de l’agrément, et d’un autre côté il peut donner d’utiles renseignemens à quiconque voudrait s’instruire d’une façon sommaire sur le jeu du gouvernement et de l’administration dans ce pays. Le mécanisme compliqué des corps judiciaires et administratifs, l’organisation du clergé anglican, les diverses formes de l’éducation, les faces variées du régime appelé self-government, sont des parties qu’il a étudiées et qu’il expose, sinon avec profondeur, du moins avec clarté. Aucune de ces parties n’est insignifiante pour qui veut bien comprendre le génie anglais et se rendre compte des contradictions apparentes qu’il présente surtout à un Français. La longanimité avec laquelle le peuple de la Grande-Bretagne supporte je ne sais combien d’inégalités choquantes, qui sembleraient devoir le froisser jusque dans le fond de l’ame, parait un problème insoluble, si l’on ne connaît pas les puissantes garanties que trouve en revanche la liberté des citoyens dans l’habeas corpus, dans le régime provincial, dans l’absence presque complète de centralisation. Ce n’est qu’en se pénétrant des services infinis que rend chaque jour une riche aristocratie soit au crédit, soit à la marine, soit à la culture des terres, qu’on s’explique bien pourquoi elle est, non-seulement fort solide, mais presque populaire. Observez comment dès l’école chacun est façonné pour toujours aux distinctions arbitraires de la vieille hiérarchie ; avec quelle habileté les gouvernans ont eu soin que chaque loi, chaque cérémonie, chaque usage reposât sur une base historique plutôt que sur une base rationnelle ; avec quel art ils ont rehaussé le prétendu libéralisme de leurs ancêtres aux dépens de l’esprit prétendu brouillon du siècle, et vous verrez distinctement comment il se fait que la masse du peuple anglais soit habituée à voir dans son organisation sociale bien moins une machine de despotisme qu’un héritage sacré de ses pères. Il va sans dire que diverses lézardes se sont manifestées depuis ces derniers temps dans les épaisses murailles du vieil édifice, et qu’il n’échappe pas plus que nul autre à l’infiltration des idées qui datent de la constituante ; mais, tel qu’il est encore, il offre une structure aussi difficile à détruire qu’imposante à contempler.



V. de Mars.