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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/625

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dans un souterrain, et on a dit qu’il avait disparu de la terre sans mourir comme les autres hommes. » Hakem recueillait ces paroles qui le jetaient dans de longues méditations.


VI

Le calife était rentré dans son palais des bords du Nil et avait repris sa vie habituelle, reconnu désormais de tous et débarrassé d’ennemis. Depuis quelque temps déjà les choses avaient repris leur cours accoutumé. Un jour il entra chez sa sœur Sétalmulc et lui dit de préparer tout pour leur mariage, qu’il désirait faire secrètement, de peur de soulever l’indignation publique, le peuple n’étant pas encore assez convaincu de la divinité de Hakem pour ne pas se choquer d’une telle violation des lois établies. Les cérémonies devaient avoir pour témoins seulement les eunuques et les esclaves, et s’accomplir dans la mosquée du palais ; quant aux fêtes, suite obligatoire de cette union, les habitans du Caire, accoutumés à voir les ombrages du sérail s’étoiler de lanternes et à entendre des bruits de musique emportés par la brise nocturne de l’autre côté du fleuve, ne les remarqueraient pas ou ne s’en étonneraient en aucune façon. Plus tard Hakem, lorsque les temps seraient venus et les esprits favorablement disposés, se réservait de proclamer hautement ce mariage mystique et religieux.

Quand le soir vint, le calife, s’étant déguisé suivant sa coutume, sortit et se dirigea vers son observatoire du Mokattam, afin de consulter les astres. Le ciel n’avait rien de rassurant pour Hakem : des conjonctions sinistres de planètes, des nœuds d’étoiles embrouillés lui présageaient un péril de mort prochaine. Ayant comme Dieu la conscience de son éternité, il s’alarmait peu de ces menaces célestes, qui ne regardaient que son enveloppe périssable. Cependant il se sentit le cœur serré par une tristesse poignante, et, renonçant à sa tournée habituelle, il revint au palais dans les premières heures de la nuit.

En traversant le fleuve dans sa cange, il vit avec surprise les jardins du palais illuminés comme pour une fête : il entra. Des lanternes pendaient à tous les arbres comme des fruits de rubis, de saphir et d’émeraude ; des jets d’eau de senteur lançaient sous les feuillages leur fusée d’argent ; l’eau courait dans les rigoles de marbre, et du pavé d’albâtre découpé à jour des kiosques s’exhalait, en légères spirales, la fumée bleuâtre des parfums les plus précieux, qui mêlaient leurs arômes à celui des fleurs. Des murmures harmonieux de musiques cachées alternaient avec les chants des oiseaux, qui, trompés par ces lueurs, croyaient saluer l’aube nouvelle, et dans le fond flamboyait, au milieu d’un embrasement de lumière, la façade du palais, dont les lignes architecturales se dessinaient en cordons de feu.