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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/628

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de calife pendant son séjour au Moristan. Cette explication naturelle lui laissait encore un sujet d’étonnement.

— Nous nous ressemblons comme des frères, dit-il à Yousouf ; quelquefois il suffit, pour justifier un semblable hasard, d’être issu des mêmes contrées. Quel est le lieu de ta naissance, ami ?

— Je suis né au pied de l’Atlas, à Kétama, dans le Mabgreb, parmi les Berbères et les Kabyles. Je n’ai pas connu mon père, qui s’appelait Dawas, et qui fut tué dans un combat peu de temps après ma naissance ; mon aïeul, très avancé en âge, était l’un des cheiks de ce pays perdu dans les sables.

— Mes aïeux sont aussi de ce pays, dit Hakem ; peut-être sommes-nous issus de la même tribu mais qu’importe ? notre amitié n’a pas besoin des liens du sang pour être durable et sincère. Raconte-moi pourquoi je ne t’ai pas vu depuis plusieurs jours.

— Que me demandes-tu ? dit Yousouf ; ces jours, ou plutôt ces nuits, car les jours je les consacrais au sommeil, ont passé comme des rêves délicieux et pleins de merveilles. Depuis que la justice nous a surpris dans l’okel et séparés, j’ai de nouveau rencontré sur le Nil la vision charmante dont je ne puis plus révoquer en doute la réalité. Souvent me mettant la main sur les yeux, pour m’empêcher de reconnaître la porte, elle m’a fait pénétrer dans des jardins magnifiques, dans des salles d’une splendeur éblouissante, où le génie de l’architecte avait dépassé les constructions fantastiques qu’élève dans les nuages la fantaisie du hachich. Étrange destinée que la mienne ! ma veille est encore plus remplie de rêves que mon sommeil. Dans ce palais, personne ne semblait s’étonner de ma présence, et, quand je passais, tous les fronts s’inclinaient respectueusement devant moi. Puis cette femme étrange, me faisant asseoir à ses pieds, m’enivrait de sa parole et de son regard. Chaque fois qu’elle soulevait sa paupière frangée de longs cils, il me semblait voir s’ouvrir un nouveau paradis. Les inflexions de sa voix harmonieuse me plongeaient dans d’ineffables extases. Mon ame, caressée par cette mélodie enchanteresse, se fondait en délices. Des esclaves apportaient des collations exquises, des conserves de roses, des sorbets à la neige qu’elle touchait à peine du bout des lèvres, car une créature si céleste et si parfaite ne doit vivre que de parfums, de rosée, de rayons. Une fois, déplaçant par des paroles magiques une dalle du pavé couverte de sceaux mystérieux, elle m’a fait descendre dans les caveaux où sont renfermés ses trésors et m’en a détaillé les richesses en me disant qu’ils seraient à moi si j’avais de l’amour et du courage. J’ai vu là plus de merveilles que n’en renferme la montagne de Kaf où sont cachés les trésors des génies, des éléphans de cristal de roche, des arbres d’or sur lesquels chantaient en battant des ailes des oiseaux de pierreries, des paons ouvrant en forme de roue leur queue étoilée de