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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/650

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et, croyant obéir à Dieu, elle l’a poignardé. Djabal, à qui ce meurtre était dévolu, arrive après qu’il est commis, et trouve sa complice encore couverte du sang qu’elle vient de répandre. Dans le trouble des premières explications, il lui laisse entrevoir qu’il n’est pas, comme elle le croit, un envoyé céleste, et l’innocente jeune fille se trouve alors en face d’un crime horrible, sans excuse, dont le poids l’écrase.

DJABAL. — Non, je ne suis pas Hakim… Djabal est mon véritable nom. J’ai menti, et cet affreux malheur est venu de mes mensonges. Non… Écoute-moi, tu m’accableras ensuite de tes mépris… Aujourd’hui et pour toujours, ton crime est à moi… Pense un instant au passé.

ANAEL, se parlant à elle-même. — Ai-je frappé un seul coup ?… ou deux coups ? ’ ou un plus grand nombre ?

DJABAL… J’étais venu pour ramener ma tribu vers ces lieux où dort, parmi les ténèbres, Bahumie le rénovateur. Anael… quand je vis mes frères, je me dis : Il faudrait un miracle… Et quand je t’eus vue : Le miracle se fera !

ANAEL, à elle-même. — La tête a frappé le seuil de la porte méridionale.

DJABAL - Une ame pure ne suffisait pas à cette vaste entreprise. Peu à peu je m’engageai… Je croyais que le ciel serait avec moi… J’affirmai qu’il s’était déclaré.

ANAEL. — Est-ce le sang versé qui fait germer tous ces rêves ?… - Voyons, quelqu’un ne disait-il pas là, tout à l’heure, que tu n’étais pas Hakim ? Mais tes miracles ? mais ce feu qui se jouait, sans te blesser, autour de ton corps ?… (Changeant tout à coup d’accent.) Ah ! vous voulez m’éprouver… Vous êtes encore notre saint prophète ?…

Après un moment de douloureuse attente, elle se jette dans les bras de Djabal, convaincue qu’il a voulu l’éprouver et honteuse des soupçons qu’il semble avoir conçus ; mais il s’éloigne silencieusement d’elle, honteux lui-même de cette confiance si aveugle, si persistante. Le voile tombe alors des yeux d’Anael, qui maudit d’abord l’indigne artisan de tant de fraudes. Après ce premier élan de fureur, le dévouement reprend tout à coup son empire sur cette ame généreuse.

ANAEL. — Suis-moi, Djabal !

DJABAL. — Où faut-il te suivre ?

ANAEL. — A la honte. Je la partagerai avec toi. Ne vaut-il pas mieux en finir d’un seul coup avec ces tortures ? Qu’ils te raillent, ces frères si crédules ! Que Loys lui-même t’insulte et te raille ! Viens à eux, ta main dans ma main… Marchons.

DJABAL. — Où veux-tu m’entraîner ?

ANAEL. — Où ? — Devant ces Druses que tu as trompés. Maintenant que tu touches à ton but, avoue, — je t’aime encore, — avoue l’imposture dont tu t’es servi. -Peut-être ne t’ai-je jamais autant aimé. — Viens affronter l’infamie. — Oui, je t’aime, et te préfère à tous… J’accepte le déshonneur au lieu du triomphe ; l’homme à la place du dieu. — Viens donc[1] !… »

  1. The Return of the Druss, acte IV, sc. I.