Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/697

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’est acquis, par ses vertus, par ses mœurs patriarcales, par la dignité de sa vie, une immense autorité sur ce canton. A un geste de M. Ackermann, à la moindre parole de cet homme vénéré, Unterwald tout entier marcherait en armes. Ce nom est grand dans tout le pays, grand comme la sagesse et la bonté qui s’ignorent elles-mêmes. M. Turrer est l’homme politique et l’homme d’affaires de ce canton, dont les forces militaires sont commandées par M. le colonel Zellger.

Si l’on cherche sur terre une retraite fermée à tous les bruits du monde, comme on dit que les poètes en désiraient autrefois et comme ils n’en veulent plus guère aujourd’hui, c’est dans Unterwald qu’il faut choisir cette bienheureuse solitude. Unterwald est la Thébaïde de la Suisse. Rien n’y arrive du dehors que par le lac et le Runig, qui n’a pas de route accessible aux voitures. On écrirait volontiers sur ces montagnes : Laissez vos désespoirs, vous qui entrez ! Ces populations, cloîtrées par la Providence au milieu des sauvages magnificences de la création, ne sont en contact avec le monde extérieur que par un très petit nombre de relations obligées. Il n’y a ni presse, ni journal, pas plus à Stanz qu’à Sarnen. Lorsque les gouvernemens de ces villes ont besoin d’une publication administrative, ils envoient tout simplement la chose à Lucerne, où les lettrés et l’attirail des imprimeries ne manquent pas, et les affiches en reviennent tant bien que mal pour les pieux Unterwaliens, qui, du reste, savent tous lire, grace à leurs curés, aucun enfant n’étant admis, s’il ne sait lire, à faire sa première communion.

On ne rencontre, dans ce bon pays, ni ces étrangers qui s’en vont partout colporter les sophismes d’un esprit blasé et le vide d’un cœur corrompu, ni ces journaux dont la parole errante est si prompte à soulever les mauvaises passions et si impuissante à les contenir. Vivre sans journaux et sans bruit de presse me paraît un grand comfort de la vie, et, en cherchant bien, je trouve que c’est un de mes puissans motifs de prédilection pour les compatriotes de M. Ackermann. Ne croyez pas cependant que les esprits aient là moins de valeur que dans d’autres pays, ni qu’ils soient fermés à toute instruction, parce qu’ils ne s’éveillent pas tous les matins sur un journal et ne s’endorment pas tous les soirs sur un opéra. Je l’ai déjà dit, tout le monde sait lire ; les études classiques, dirigées par des moines augustins et bénédictins, sont suffisamment fortes ; enfin, pour que rien ne manquât à Unterwald, Dieu lui a donné des artistes, nobles intelligences et cœurs naïfs. Allez voir à Stanz, qui n’est qu’un bourg de deux mille habitans, les tableaux d’histoire de M. Dischwanden, les paysages de M. Joseph Zellger et les statues que crée en se jouant le ciseau hardi et gracieux de M. Franz Kayser, et vous aurez admiré des chefs-d’œuvre tels que peuvent seules en inspirer la nature, la rêverie et la méditation.