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dit-il, partisan du libre examen au XVIIe siècle comme la réforme l’avait été au XVIe, comme la philosophie le fut au XVIIIe, est l’une des trois grandes phases de l’émancipation intellectuelle durant les trois derniers siècles, et l’acheminement transitoire d’une négation restreinte à une négation absolue de l’autorité dans les temps modernes. » Cette manière de voir, qui est en général celle de l’école historique contemporaine, nous parait, en ce qui touche le jansénisme et la réforme, très contestable. De quelle autorité veut-on parler d’abord ? Est-ce de l’autorité divine, de l’autorité des papes, de celle de l’église ou de celle des rois ? Il faut commencer par faire nettement la distinction comme le moyen-âge lui-même l’avait faite. Or, s’il s’agit de l’autorité des papes, il faut remonter beaucoup plus haut que Luther et Calvin ; il en est de même de l’autorité temporelle de l’église ; enfin, s’il s’agit de l’autorité politique, de l’ordre social renversé par la révolution de 89, je cherche en vain comment Luther, Calvin et le jansénisme peuvent avoir quelque chose à réclamer dans la déclaration des droits de l’homme. Etrangers, quoi qu’on en ait dit, a toute idée d’émancipation politique, les réformateurs auraient eu grand’ peine à faire sortir d’une négation théologique la notion d’un droit. Cette autorité souveraine, cette infaillibilité dont ils dépouillaient Rome, ils la réclamaient impérieusement pour eux-mêmes. Cette raison, dont ils proclamaient l’indépendance vis-à-vis du pape, ils la plaçaient sous la tyrannie de la Bible, et certes, ce n’est point dans la Bible qu’ils auraient trouvé la liberté politique. Ne faisons donc point aux théologiens des derniers siècles, qui ne sont après tout que les rhéteurs du christianisme et qui n’ont fait le plus souvent qu’altérer le sublime esprit de l’Évangile, plus d’honneur qu’ils n’en méritent. Si nous voulons trouver les véritables précurseurs de la liberté moderne, remontons aux premiers âges de l’église ; cherchons-les parmi ces évêques des Gaules qui déclaraient que les hommes ne sont serfs que de Dieu, et qui affranchissaient leurs esclaves en les bénissant ; cherchons-les dans les actes de ce concile de Paris qui, déjà en 89, posait les limites de l’autorité de l’église et de l’autorité des rois ; cherchons-les dans ces bourgeois du XIIe siècle qui faisaient de leur ville et de leur banlieue une sorte de champ d’asile inviolable ; dans les parlemens, toujours prompts à défendre l’ordre contre toutes les violences, celles des rois, de l’église ou du peuple ; dans les états-généraux, qui parlèrent souvent au XVe siècle comme on parlait en 89 ; cherchons-les surtout dans ces sentimens inépuisables de la justice et du droit qui éclatent à toutes les époques de notre histoire, sentimens qui se manifestaient dans la nation comme une révélation instinctive de la dignité humaine, et qui furent compris et respectés par les rois comme la meilleure garantie de leur sécurité et de leur puissance.


CH. LOUANDRE.