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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/763

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peine d’hier. Hier encore, l’Angleterre était une aristocratie majestueuse assise sur un privilège intact, un état purement chrétien fondé sur un culte exclusif. Toutes ses lois avaient été conçues au profit d’une église ou d’une oligarchie. L’oligarchie reçut son premier coup du bill de réforme, l’église du bill d’émancipation. Ce ne furent là dans le temps que des actes politiques ; ils portent aujourd’hui leurs conséquences sociales. Le free trade, qui diminue la valeur de la propriété aristocratique, découle du bill de réforme ; la dotation du clergé romain, qui ruine le principe même de l’établissement anglican, découle du bill d’émancipation. La démocratie, dans la plus large et la meilleure acception du mot, c’est-à-dire l’égale proportion des droits et des devoirs, pénètre ainsi sur le sol le plus rebelle qu’elle dût jamais rencontrer. Elle se présente avec toutes les conséquences qu’elle entraîne, le caractère laïque de l’état, le pouvoir public centralisé, l’éducation publique dirigée, et tel est l’ascendant de son approche, qu’elle fond pour ainsi dire devant elle les anciennes factions qui deviennent de pures apparences. Sous des noms, sous des prétextes différens, elle attire à elle des camps les plus opposés tous les grands esprits de l’Angleterre, et les réconcilie presque malgré eux pour les employer uniformément à son service.

Le parlement de 1841 était venu tout exprès pour combattre cette ascension merveilleuse des idées, pour sauver les corn-laws, pour défendre l’établissement. Le premier choc l’a brisé, et il en a fait cette poussière par-dessus laquelle lord John et sir Robert, rivaux de toute leur vie, se tendent la main comme sans le vouloir. Le Chronicle a bien compris ce profond événement : « La leçon des six années qui viennent de s’écouler, dit-il, doit servir au moins pour toute une génération. Elle a prouvé que de toutes les forces politiques la plus désespérée, la plus imbécile, c’est un grand parti parlementaire qui a le malheur de s’attaquer aux faits et aux lois de la science sociale, à cet esprit indomptable, à cette indomptable puissance de progrès qui vit et qui travaille dans le cœur des Anglais, qui, tôt ou tard, aura construit toute l’histoire anglaise. » Aussi quel a été le vrai terrain dans la lutte électorale de 1847 ? « La phraséologie des partis est tombée en désuétude, » disait M. Cardwell à Liverpool. On était ou l’on n’était pas libéral, tout revenait là ; il n’y avait plus de distinctions qui tinssent, et les mêmes professions de foi sur les mêmes chapitres sortaient des rangs les plus contraires. Lord George Bentinck veut doter l’église catholique tout comme lord John Russell, et sir Robert Peel semble vouloir le faire plus vite que lord John Russell, qui l’annonce depuis plus long-temps. La bigoterie anglaise, la bigoterie écossaise, plus raide et plus dure encore, l’entêtement des débris du torysme primitif, se sont révoltés avec la vivacité saccadée d’un feu qui s’éteint. Les sièges de Bath et d’Édimbourg ont été repris dans ce suprême assaut, mais ce n’est plus le temps, en Angleterre du moins, où les saints étaient aussi des politiques ; les politiques sont tous de l’autre côté avec la raison et la piété de leur siècle, et, ce qu’il y a de plus caractéristique, ils ne peuvent éviter d’y être ensemble. Dans cette vaste carrière où tous marchent en commun vers un avenir tout neuf, la place se fait chaque jour plus petite pour les divisions qui ne procéderaient que des personnes.

C’est un curieux spectacle, c’est presque le dénoûment et la moralité du drame que ce rapprochement de plus en plus étroit des deux hommes qui ont conduit jusqu’ici, chacun à son tour et séparément, la fortune britannique. Sir