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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/777

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placer pour en construire le difficile édifice. Ceux-là seulement que le goût, le besoin de la vérité, possèdent assez fortement pour qu’ils ne craignent pas d’en aller chercher quelques parcelles au milieu de beaucoup d’inutilités et de lieux communs, ceux-là peuvent ne pas se laisser rebuter par une semblable lecture ; en y persévérant, ils seront récompensés de leurs laborieux efforts par plus d’une révélation intéressante, et ils reconnaîtront que des qualités très réelles, très estimables, très rares même et faites pour concilier à l’auteur toute leur confiance, compensent les défauts que je viens de signaler.

Comme lord Sidmouth, M. Pelleter appartient à la nuance la plus prononcée du parti tory, mais il porte dans cette opinion extrême un esprit de bienveillance, de tolérance, d’équité, dont je ne me souviens guère d’avoir trouvé ailleurs l’équivalent. Jamais, en racontant les luttes diverses dans lesquelles lord Sidmouth s’est trouvé engagé pendant sa longue carrière, il ne lui arrive d’accueillir sans le plus scrupuleux contrôle les versions défavorables aux adversaires de l’ancien ministre ; jamais il ne lui échappe contre eux une parole de haine, de mépris ou même de dédain. Il n’a que des témoignages d’admiration, d’amour, de respect pour Pitt, qui, après avoir été l’ami intime de lord Sidmouth, le fit deux fois sortir du ministère avec des circonstances si propres à le blesser. Quant à Canning, qui pendant plusieurs années employa toutes les ressources de son esprit, non-seulement à le combattre, mais à le discréditer et à le tourner en ridicule, le biographe évite, autant que possible, de prononcer son nom, sauf les rares occasions où il peut le montrer dans une attitude un peu moins hostile. De la part d’un tory, ces ménagemens excessifs envers deux hommes qui furent dans leur temps la force et l’honneur du torysme pourraient, jusqu’à un certain point, s’expliquer par des calculs de parti ; mais le chef des whigs, Fox, n’obtient pas une justice moins complète que son grand rival, et nulle part les puissantes facultés, les dons aimables qui le rendaient l’objet de tant d’enthousiasme et d’affection n’ont reçu un plus éclatant hommage. Il me serait facile de multiplier les exemples de cette remarquable impartialité.

On pourrait penser que M. Pellew, si indulgent, si bienveillant même pour les antagonistes de lord Sidmouth, se dédommage des éloges qu’il leur accorde en prodiguant à celui dont il écrit l’histoire les louanges les plus exagérées. On se tromperait. Sans doute, le jugement qu’il porte de son héros n’est pas celui du public désintéressé : cela n’est pas possible, et, s’il avait pu entrer dans la famille, vivre dans l’intimité d’un homme digne, à tous égards, d’estime et de respect, sans s’exagérer son importance et son mérite, sans se faire quelque illusion sur ses faiblesses, on lui en saurait presque mauvais gré. Toutefois ses préventions favorables ne l’aveuglent pas au point de lui faire perdre absolument de vue les vraies proportions de la physionomie historique de lord