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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/827

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de sortir presque à toute heure, et de prendre, avec une aisance parfaite, leur part des jouissances mondaines. On comprend quel élément pittoresque s’introduit dans la société avec cette foule immense que laissent échapper chaque jour d’innombrables couvens, et où tous les ordres sont représentés depuis le froc noir du dominicain jusqu’au froc blanc du mercedario.

Si les classes élevées de la société mexicaine ont échappé en partie à l’influence des moines, la classe moyenne les écoute encore avec la même vénération superstitieuse qu’il y a un siècle. La bizarre éloquence des sermonnaires du moyen-âge a gardé là un fidèle auditoire. Le prédicateur mexicain ne recule dans sa fougue devant aucune métaphore ; il marie l’emphase au cynisme avec une témérité sans égale : tantôt c’est Dieu qu’il représente se faisant du soleil une monture et de la lune un étrier[1] ; tantôt c’est un récit graveleux auquel il soude avec un imperturbable aplomb une moralité religieuse. Descendu de la chaire ou du confessionnal, ce même homme qui vient de prêcher l’ascétisme va égayer par ses bons mots ou par ses chansons quelque tertulia de bas étage. Il pousse la sollicitude pour ses pénitentes jusqu’à diriger leur toilette, il donne des conseils très goûtés sur l’achat d’une parure nouvelle ; il fait plus, il se charge lui-même de l’emplette, et on le voit fréquenter assidûment les boutiques de modes, où son approbation est sans appel comme ses critiques. Le plus souvent, ce qui l’amène en pareil lieu, ce n’est pas une complaisance désintéressée, et plus d’un de ces frivoles achats n’est qu’un tribut payé à la vie de famille dont le révérend père supporte volontiers les charges à condition d’en goûter clandestinement les joies. Excepté peut-être à son couvent, le moine est partout. Courses de taureaux, combats de coqs, jeux, spectacles, tout l’attire, tout lui est une occasion de faire admirer sa verve et son entrain. Et qu’on ne croie pas que ces mœurs faciles portent la moindre atteinte à l’autorité du prêtre et du directeur spirituel ; les Mexicains comprennent à merveille l’alliance de la dévotion et des plaisirs mondains. Quand le moine regagne le soir son couvent après une journée gaiement employée, il voit les passans attardés s’agenouiller devant lui avec le même respect que si le plus étrange contraste n’existait pas entre sa conduite et ses pieux discours.

Le caractère et les habitudes du moine mexicain étant connus, on ne s’étonnera pas trop de l’incident qui me mit en relations avec un des plus joyeux membres de cette grande famille monastique, le révérend fraye Serapio. La curiosité m’avait conduit à une fête populaire des environs de 11exico, la fête de San-Agustin de las Cuevas, petite ville à

  1. Cabalgando el sol, y estribando la luna. Je n’ai pu traduire qu’en l’affaiblissant ce passage d’un sermon que j’ai entendu prononcer à Mexico.