Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/840

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui veulent figurer dans ces processions. Avec l’élite de la population, qui ouvrait la marche, s’avançait aussi l’aristocratie des images ; ensuite venaient les pauvres, et on ne saurait rien imaginer de plus grotesque, de plus tristement bouffon que cette cohue d’hommes déguenillés, les uns portant à défaut de christs de petites images de saints ou de saintes, d’autres, moins heureux encore, obligés d’arborer, faute de mieux, des drapeaux fanés, des oripeaux ternis et jusqu’à des cages à poules. Nous nous agenouillâmes dévotement devant ces affreuses effigies, tandis que la procession traversait lentement la rue, et ce chaos d’images sanglantes, de corps nus, éclairés d’une lumière rougeâtre et entrevus à travers l’épaisse fumée des torches de sapin, nous laissa, en s’éloignant, l’idée de quelque vision infernale plutôt que celle d’une fête religieuse.

Nous arrivâmes à la maison de l’alcade. La physionomie sinistre de ce magistrat de race indienne n’était pas faite pour ramener le calme dans nos esprits troublés. De longs cheveux grisonnans encadraient sa figure, sillonnée de rides profondes, et tombaient jusqu’au milieu de son dos ; des bras musculeux sortaient des manches de son sayal (tunique à manches courtes) ; ses jambes sèches et nerveuses n’étaient couvertes qu’à demi par les canons flottans de ses calzoneras de peau. Pour toute chaussure, il portait des sandales de cuir. Ainsi vêtu, ce singulier personnage trônait avec une fierté comique sous une espèce de dais formé par des branchages de xocopan (laurier odorant). Les alguazils à peau rouge se rangèrent derrière lui comme de silencieux comparses. L’interrogatoire commença.

— Qui êtes-vous et que faites-vous ? — Cette question, articulée péniblement en mauvais espagnol, s’adressait à fray Serapio, que sa longue barbe, son costume et ses manières de soudard avaient sans doute désigné à l’alcade comme le plus suspect d’entre nous. Le moine hésitant à répondre, l’alcade continua

— Quand on envahit un village à main armée, on a sans doute la permission de porter des armes. Où est la vôtre ?

C’était donc pour nous demander notre port d’armes qu’on nous avait arrêtés. L’alcade pensait bien nous trouver en défaut et nous faire ainsi subir, sans sortir de la légalité, quelques-unes de ces avanies qui satisfont la haine traditionnelle des Indiens contre les individus de race blanche. Nous comprîmes cette tactique, mais nous n’avions aucun moyen de la déjouer. Nous en fûmes réduits à faire tous la même réponse : nous voyagions incognito, et nous n’avions pas de port d’armes. Puis, à l’exception du moine, qui semblait très mal à l’aise sous son déguisement, nous nous empressâmes de faire connaître nos noms et nos qualités. Comme il était important aussi d’intimider les Indiens en énumérant les protections qui nous étaient assurées à Mexico, l’étudiant