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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/926

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d’être battus en brèche chaque matin, sont entourés d’un respect universel, les lettres peuvent n’être qu’un noble jeu de l’esprit, le plus sérieux des délassemens, si on aime mieux. Au contraire, quand une société se trouve dans un état révolutionnaire, et que rien de ce qui existe n’est à l’abri des attaques violentes, quand un royaume ressemble à la cité voisine d’un volcan entre deux éruptions, et que chaque maison est construite avec de la lave à peine refroidie, la littérature n’est plus un passe-temps, et elle a charge d’intelligences. Dans de pareils momens, on le conçoit, la critique doit s’élever et grandir ; elle doit cesser d’être une critique purement littéraire, et ne doit pas moins s’appliquer à relever les erreurs de principes que les erreurs de goût ; mais si elle ne combat ni les unes, ni les autres, et si, au lieu de les combattre, elle les encourage, n’encourt-elle pas une grave responsabilité, et, en supposant qu’elle comparût devant un juge, n’aurait-elle pas de terribles comptes à rendre ? C’est pourtant ce qu’on a fait sous nos yeux avec un laisser-aller charmant et un parfait sang-froid. Vraiment la liste serait longue de tous les dangereux ouvrages de l’imagination contemporaine qu’une critique complaisante ou passionnée a poussés à la vogue ! Quelle mauvaise tendance, soit dans la poésie, soit dans le roman, soit dans l’histoire, cette perfide conseillère n’a-t-elle pas soutenue et caressée ? Quand les poètes, ne sachant pas se borner, délaient leur pensée à l’infini, ne leur dit-elle pas que c’est une preuve de fécondité et de puissance ? Quand les romanciers, s’inquiétant peu de corrompre le cœur, pourvu qu’ils piquent la curiosité, entraînent le lecteur dans les lieux suspects, ne s’enroue-t-elle pas à crier bravo ? Quand un historien de profession, un homme sérieux jusque-là, emporté par d’ardentes lubies, transforme l’histoire en un pamphlet fiévreux et puéril, essaie-t-elle de le ramener à la dignité et à la logique ? Elle l’applaudit de toutes mains. Et lorsqu’un écrivain d’un grand talent, transportant l’imagination dans l’histoire, compose un de ces ouvrages remplis de tant de beautés et de tant de défauts, qu’on peut appeler l’auteur, selon une expression qui est dans le livre même, un héros de la décadence, se contente-t-on de vanter cette œuvre avec quelques restrictions ? C’eût été bon autrefois. On met le livre au pinacle, on ceint le front de l’auteur du laurier vert.

Voilà de beaux états de service ! Ce qu’il y a de pire, c’est que peut-être tout cet enthousiasme n’est pas sincère. Quand on connaît l’esprit et l’ironie de quelques-uns de ces écrivains qui prodiguent ainsi l’enthousiasme, on sait à quoi s’en tenir ; mais la question est délicate, et il ne faut pas appuyer. On ne discute pas avec la critique qui n’est pas sincère, on la démasque. J’aime mieux passer à une autre espèce d’écrivains, espèce très répandue et assez à la mode, je veux dire les critiques légers. Ceux-là sont dangereux et font beaucoup de mal, sans être odieux