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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/93

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À côté de ces imitateurs, on rencontre pourtant un vrai poète. Nous pouvons citer enfin quelques strophes marquées d’un caractère original et de ce sentiment de confiance dans les destinées de la patrie qui, unanime au Chili, méritait de trouver un interprète. L’incendie d’une église de San-Iago a inspiré à M. Andres Bello un chant élégiaque où, après une vive description du fléau, il s’adresse ainsi à la tour de l’horloge :

… « Et toi aussi, il te dévore, sentinelle à la voix retentissante, vigie attentive, qui as compté un siècle entier à la ville heure par heure.

« Après avoir sonné neuf fois, tu contemplais la fournaise où tu devais expirer, ta dernière voix fut aussi ton dernier adieu.

« Quand cet accent fatidique scellait ton arrêt, qui eût cru te perdre ? qui eût pensé que les ailes du vent emportaient la voix de la mort ?

« Il me semblait t’entendre dire : « Adieu, ma patrie, le ciel ordonne que mes « notes ne déroulent plus la chaîne de tes heures et de tes jours.

« J’ai vu mille et mille formes naître à l’aurore du monde, et fleurir à mes pieds, et descendre au profond abîme de ce qui fut.

« Je t’ai vue dans ton premier âge, San-Iago, esclave endormie, sans que dans ton cœur palpitât un sentiment prophétique de ta future destinée[1]. »

On ne peut méconnaître, dans cette invocation solennelle, une singulière vigueur et l’empreinte d’une imagination élevée. Il est vrai que le poète qui a écrit ces vers occupe un rang exceptionnel parmi les écrivains du Chili. M. A. Bello n’est point un disciple de la jeune école chilena ; il a été de bonne heure initié au mouvement intellectuel de l’Europe, et, quand il a lui-même abordé la poésie, il avait depuis long-temps échappé au vertige d’imitation qui suit les premières lectures. M. Bello n’est pas seulement un poète, c’est un publiciste sérieux et distingué, l’auteur d’un Traité du droit des gens, ouvrage substantiel et approfondi, qui jouit d’une légitime autorité dans toute l’Amérique.

  1.  I’a ti tambien te devora
    Centinela vozinglero
    Atalaya veladora,
    Que has contado un siglo entero
    A la ciudad hora a hora.
    Diste las nueve, y prendida
    Estabas viendo la hoguera
    En que iba a expirar tu vida :
    Fue aquella tu vos postrera,
    Y tu ultima despedida, etc., etc.