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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/935

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mais encore des changemens de constitution, qu’à la première secousse, des lois à peine appliquées, à peine promulguées, seront suspendues ou détruites, si bien que de changemens en changemens l’Espagne pourra bien arriver à n’avoir ni lois publiques, ni lois administratives, ni lois financières. Ce sera l’absolutisme de tout le monde et de chacun en particulier, c’est-à-dire le beau idéal de l’anarchie. On peut maintenant comprendre ce qu’il y a de grave à voir la royauté, de son propre mouvement, faire revivre ce régime du provisoire, s’y assujettir elle-même et compromettre légèrement, par des fantaisies trop publiquement proclamées, une situation politique régulière et forte à laquelle était attaché l’avenir de l’Espagne.

C’est formuler aujourd’hui l’opinion de l’Europe, que de déplorer comme un scandale les scènes dont le palais de Madrid a été le théâtre. Qu’a-t-on vu, en effet, pendant quelques mois ? Une séparation avouée, publique, chaque jour envenimée, entre la reine Isabelle et l’infant don Francisco, son époux. Tandis que la reine errait de Madrid à Aranjuez, d’Aranjuez à la Granja, qu’elle vient de quitter de nouveau pour la capitale, le roi se retirait au Pardo, où il est resté obstinément, et non sans quelque dignité, il faut le dire ; il refusait de se mêler à cette cour équivoque qui entourait Isabelle dans les jardins d’Aranjuez et nouait autour d’elle les intrigues surannées du temps de Charles IV. Lorsqu’en l’absence de la reine il a voulu venir habiter le palais de Madrid, on peut se souvenir que l’ordre lui fut respectueusement intimé de n’y point mettre les pieds. Avec des sentimens aussi nettement manifestés de part et d’autre, il est aisé d’imaginer combien devaient être efficaces les négociations suivies par le ministère pour la réconciliation des deux époux ! Ce sont là les faits publics, hors de toute contestation, et qui sont consignés même dans la gazette officielle. Le secret d’une situation si étrange n’a pas tardé à se divulguer. On a cherché, nous le savons bien, à détourner l’attention des vraies causes de la séparation de fait qui existe entre la reine et le roi. Le ministère espagnol a fait écrire dans un journal qu’il inspire, dans le Correo, que ces dissentimens étaient anciens, qu’ils remontaient aux cabinets antérieurs, et qu’ils devaient être attribués aux prétentions inattendues élevées par le prince sur le degré de son autorité ; mais ces assertions ont été aussitôt démenties par les membres des deux cabinets précédens, l’un qui avait pour chef M. Isturitz, l’autre M. le duc de Sotomayor, et d’ailleurs il est assez notoire à Madrid que la plus parfaite intelligence régnait entre Isabelle et son époux dans les premiers mois de leur mariage. Ce qui est vrai, c’est que cette intelligence a commencé de s’altérer dès qu’il s’est produit au palais une influence irrégulière, à laquelle l’esprit de la reine s’est entièrement abandonné. Vue ainsi, la question actuelle ne serait plus une question de pouvoir, ce serait une question