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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/960

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à l’opinion qu’il veut donner de son mérite ; que les patriotes d’outre-Rhin soutiennent hardiment que tout n’est pas mal en France, que tous les employés n’y sont pas corrompus, que tous les hymens n’y sont pas adultères (il n’est point de sage ménagère allemande qui doute de cette abomination), et alors, nous le disons sans paradoxe, l’Allemagne aura fait un grand pas sur le chemin de la vie politique.

Nous ne voulons point quitter les affaires allemandes sans parler du procès des Polonais qui se vide maintenant à Berlin. Nous trouvons dans la Gazette d’Augsbourg une correspondance intéressante qui rend bien la physionomie particulière de cet incident si considérable dans l’histoire du moment. L’impression produite par la première séance a surtout été très frappante. La cour de justice, construite pour la circonstance, est spacieuse et aérée. Les accusés arrivent en masse, se divisent par groupes, se serrent la main ou s’embrassent à la mode de leur pays et causent vivement entre eux ; ils ont la plus complète liberté d’aller et de venir, on ne voit pas la moindre apparence de contrainte, et il n’y a que quatre gendarmes dans cette grande salle ; encore sont-ils postés au milieu de l’auditoire. Le correspondant de la Gazette d’ Augsbourg se rappelle, devant ce tableau pacifique, les formes rigoureuses avec lesquelles ce même tribunal instrumentait, il y a quinze ans, contre la Burschenchaft, et nous nous joignons à lui pour reconnaître cette belle amélioration introduite enfin dans les mœurs politiques de la Prusse. On ne pouvait d’ailleurs choisir d’occasion plus éclatante et mieux appropriée pour inaugurer la liberté, la publicité des institutions judiciaires. Le gouvernement prussien ne saurait voir que des coupables dans les infortunés conspirateurs de Bromberg, mais il sent bien le juste prestige qui les couvre, et il ne prétend point subordonner l’opinion à la sévérité de son point de vue officiel. L’opinion se prononce à Berlin avec un intérêt touchant en faveur des accusés. La mâle figure de Dombrowski, « la beauté plus douce, mais plus idéale » de Mieroslawski, saisissent l’imagination populaire, et la Gazette de Voss enchante par ces images séduisantes les caustiques bourgeois de la capitale. Enfin les dames elles-mêmes professent un naïf enthousiasme et se disputent le portrait lithographié de Mieroslawski, que la censure vient de confisquer. On peut croire que les séances de la haute cour criminelle sont assidûment suivies, et elles ont offert plus d’un contraste dramatique. Le langage clair, froid et grave, tenu par le ministère public au nom de la stricte légalité ; la vigueur de Dombrowski, dénonçant en allemand les éternelles rancunes de la Pologne contre la Russie, et conviant la Prusse à les seconder ; l’emphase poétique de Mieroslawski, racontant en français les merveilles de la révolution polonaise, au lieu de songer à sa propre défense ; l’émotion de l’auditoire et des co-accusés, la propagande politique improvisée par les chefs du complot à la face même de leurs juges, tous les traits inattendus de ce grand événement judiciaire se gravent dans les mémoires. Nous ne pouvons supposer qu’un procès ainsi entamé devant l’opinion en même temps que devant la justice ait maintenant des suites sanglantes. Nous sommes sûrs que la cause sacrée de la nationalité polonaise, loin de perdre à cette nouvelle épreuve, où l’on doit dire que le gouvernement prussien a mis toute loyauté, y gagnera bien au contraire ce sérieux avantage de s’être concilié les sympathies allemandes, jusque-là si rebelles.