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papier. Mais, si la grandeur manque à cette fête de la gerbe, en revanche la grace et la gaieté y abondent. L’églogue antique s’y retrouve mise en action avec une réalité plus vivante.

Au moment d’achever la préparation de la dernière airée, les batteurs s’avancent ensemble vers le métayer et lui montrent, dans la grange, une gerbe couverte de fleurs et de rubans. Tous leurs efforts pour la soulever ont été inutiles, cette gerbe pèse le poids de la moisson tout entière et ne veut être portée sur l’aire que si le maître l’y conduit, car chacun commande à sa richesse et a seul droit d’en disposer. Le métayer se rend en conséquence à la grange, où, aidé de ses plus proches parens, il soulève la gerbe, tandis que les autres moissonneurs forment le cortége. En tête marchent les balayeurs, qui nettoient le passage devant cet emblème de la moisson ; en arrière, des enfans, représentation vivante de la famille, qui poussent des cris de joie en secouant dans leurs petites mains des touffes d’épis. S’il y a à la métairie quelques étrangers, ils suivent, portés sur un brancard de ramées et accompagnés de deux jeunes filles qui leur présentent un plat d’étain avec du blé nouveau et des fleurettes, c’est-à-dire ce qui est nécessaire et ce qui charme, double symbole des devoirs de l’hospitalité. Plus loin marche le vanneur, lançant en l’air le grain qu’il épure ; puis viennent les batteurs, dont les fléaux frappent le sol en cadence. Après avoir fait le tour de l’aire dans le même ordre au bruit des rires, des chants et des coups de feu tirés par les fils de la maison, tout le cortége s’arrête, on délie la gerbe, et la métayère apporte sur une chaise recouverte d’un linge blanc du vin, du beurre et du pain de froment ; on boit, on mange, puis le travail reprend jusqu’à ce que l’airée soit battue et relevée.

Pendant ce temps, le repas du soir s’apprête à la métairie. Dès la veille, les jeunes moissonneurs ont eu soin de déposer un bouquet de fleurs des prairies sur la sellette à traire de toutes les étables voisines. Les métayères ont compris l’invitation et arrivent par toutes les voyettes avec leurs fromages de lait caillé. Enfin, la moisson rentrée, tout le monde se met à table, et, pour cette fois seulement, en signe de l’égalité qu’établit la joie, les femmes prennent place à côté des hommes. Les jeunes gens apportent des bouquets, la plus jolie fille présente successivement à chaque convive une cuillerée de lait caillé, et toutes les voix chantent en chœur la Ronde de la moisson.

On nous pardonnera si, comme Alceste, nous citons quelques couplets de ce vieux chant. La rime n’est pas riche, car, ainsi qu’il arrive d’habitude dans ce genre de compositions, le poète s’en est affranchi pour les vers féminins, et s’est presque toujours contenté, pour les autres, de simples assonances ; mais, avant de lire cette ronde champêtre, il faut que l’imagination la place dans son cadre. Figurez-vous