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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 19.djvu/987

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Mais, pendant que l’activité des Cottereau tenait les patriotes en alerte, l’insurrection commencée par Cathelineau avait pris des proportions colossales. Les Manceaux et les Bretons n’en étaient encore qu’au romancero ; la guerre des Vendéens avait grandi jusqu’à l’épopée. Chez eux, nous l’avons dit, la révolte eut, dès le début, un caractère populaire. Les nobles ne l’avaient point excitée, mais seulement dirigée après coup ; quelques-uns l’avaient subie. Aussi le mouvement fut-il irrésistible. Bressuire, Thouars, Parthenay, Saumur, Angers, avaient été tour à tour enlevés à la république, Nantes allait être pris, lorsque Cathelineau fut blessé à mort dans la ville même. La balle qui le frappa sauva la cause nationale dans l’ouest. Promoteur de l’élan des campagnes, Cathelineau incarnait la révolte ; lui mort, elle perdit la foi qu’elle avait en elle-même, et sembla prise de vertige. Jusqu’alors les Vendéens avaient combattu les pieds sur la terre natale, où, comme Antée, ils trouvaient de perpétuels renouvellemens de force et de courage ; ils abandonnèrent tout à coup le pays qu’ils connaissaient pour passer la Loire. Les chefs oublièrent qu’ils commandaient un peuple, et agirent comme s’ils eussent commandé une armée.

Jean Chouan avait été averti de cette arrivée prochaine de la grande armée, mais sans savoir la route qu’elle devait suivre. Il était campé avec ses hommes dans la forêt du Pertre, où il avait donné rendez-vous à MM. de Puisaye et Duboisguy, lorsque l’un d’eux, qui chapeletait[1] pour passer le temps, dit tout à coup :

— Dieu nous sauve ! il me semble entendre le tonnerre.

— Un tonnerre en octobre, objecta Miélette, faut donc que ce soit un traînard resté en arrière depuis le mois d’août.

— Je sais ce que c’est, reprit doctoralement Godeau, c’est un bruit physique sortant des ravines.

— Non pas, s’écria Jean, qui avait mis l’oreille contre terre, celui-ci sort des canons ; c’est la Vendée qui vient nous faire visite. En avant sur Laval, mes gas ! le prince de Talmont nous attend.

M. de Talmont s’était effectivement mis en rapport avec Jean Chouan, qui lui était attaché par le souvenir de services rendus et par un de ces dévouemens passionnés qui sont, comme l’amour, des choix mystérieux du cœur. Ce que désirait le prince devenait pour Jean une nécessité ; ce qu’il demandait, une loi.

Les chouans s’étaient mis en marche au milieu de la nuit, recrutant sur leur route tous ceux que le canon de l’armée catholique avait réveillés. Jean entra à Laval à la tête de quatre cents hommes. En traversant

  1. Chapeleter, dire le chapelet. La dévotion du chapelet est très en usage dans le Maine ; les chouans passaient une partie des heures d’attente à le réciter et s’en étaient fait une manière de mesurer le temps. On disait : Il s’est passé tant de chapelets depuis tel moment.