Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/1009

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sauver la vie à don Fadrique, ce prince le chargeât d’inventer un projet de guet-apens pour le faire périr ? Que si l’on attribue à don Pèdre le calcul de ne frapper ses ennemis qu’après les avoir réunis tous, afin sans doute que la mort d’un d’entre eux ne servît point d’avertissement aux autres, comment supposer qu’il n’ait pas fait les plus grands efforts pour attirer au piège le comte de Trastamare, bien plus dangereux que don Tello ? On suppose donc qu’il se serait contenté de cinq têtes, et que quatre n’auraient pu le satisfaire. Quelle précision, quelle mesure dans la vengeance ! Que don Pèdre, malgré ses sermens, ait conservé sa haine et ses soupçons contre les bâtards et les riches-hommes qui l’avaient offensé, cela est malheureusement trop probable ; mais le moyen de croire que, dans un moment où les troubles du royaume n’étaient pas encore apaisés, il eût de gaieté de cœur rallumé le feu de la guerre civile par un crime exécrable, crime inutile d’ailleurs tant que vivrait don Henri ! Seul, il suffisait pour rallier les mécontens, et serait devenu d’autant plus à craindre que son autorité n’eût plus été partagée. Malgré tant d’invraisemblances, je ne puis imputer au sage Ayala une calomnie gratuite. Probablement don Pèdre, aigri par le malheur et se rappelant qu’un jour il avait tenu ses plus mortels ennemis en sa puissance, témoigna publiquement le regret de n’avoir pas profité de l’occasion offerte par la fortune. De là peut-être l’origine de la fable que je viens de rapporter, et dont j’ai montré, je crois, l’inconsistance. Ajoutons que don Tello, instruit de la correspondance que son conseiller Avendano entretenait secrètement avec le roi, le fit assassiner peu de temps après la prise de Palenzuela, « par quoi, dit notre chroniqueur, don Telle demeura plus maître en Biscaïe qu’il n’était auparavant[1]. » On doit supposer que le jeune prince, pour se justifier de ce meurtre, feignit de croire Avendaño plus coupable qu’il n’était en réalité, et qu’il accrédita les bruits de trahison méditée contre ses amis et contre lui-même.

Je ne pense pas qu’il faille ajouter plus de créance à un autre projet d’assassinat tramé vers le même temps contre le seul don Fadrique, qui, suivant Ayala, devait être tué dans un tournoi célébré à Tordesillas devant Marie de Padilla. « Mais, ajoute-t-il naïvement, le coup manqua, le roi n’ayant pas voulu découvrir le secret à ceux qui devaient faire l’œuvre[2]. » S’il faut chercher un sens à cette phrase, je suppose qu’il s’agissait de donner aux adversaires du Maître quelque arme discourtoise, comme le fleuret empoisonné dans le Hamlet de Shakespeare. Je ne sais si je dois m’arrêter à justifier don Pèdre d’un

  1. Ayala, p. 214. On verra bientôt que notre chroniqueur se trompe fort sur les conséquences de ce meurtre.
  2. Pero non se pudo facer, ca non les quiso et rey descobrir este secreto a los que entraron en el torneo, que avian de facer esta obra, e per tusto cesò. Ayala, p. 212.