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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/1018

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Et notez que les colonnes qui portent le nom de cet Osortasen Ier, de la douzième dynastie, aussi bien que les hiéroglyphes de l’obélisque d’Héliopolis[1], montrent que l’art et la civilisation étaient parvenus, en Égypte, à un haut degré de perfection, quand ce pays tomba sous la domination du peuple étranger qu’on appelle les pasteurs, peuple barbare qui n’a pas laissé un seul temple debout, mais qui n’a pu, par une occupation de cinq siècles, éteindre le génie égyptien ; car à peine les pasteurs sont-ils expulsés, qu’on voit, sous l’empire de cet élan national toujours produit par l’affranchissement d’un joug étranger, s’élever les admirables monumens de Karnac.

Cette époque, qui suit l’expulsion des barbares, est précisément celle où l’art égyptien atteint rapidement sa plus grande perfection. C’est l’âge des Thoutmosis, qui fut le siècle de l’élégant et de l’achevé, comme l’âge des Ramsès fut le siècle du majestueux et du grand. Ici la marche ordinaire de l’art a été renversée ; le beau a paru avant le sublime, Praxitèle est venu avant Phidias. C’est comme si Eschyle eût été devancé par Euripide et Corneille par Racine. Il est vrai qu’il y avait dans les profondeurs de l’antiquité égyptienne un autre âge, d’une grandeur primitive, auprès de laquelle la grandeur de la salle de Karnac disparaît : c’est l’âge reculé des pyramides. Cependant l’époque des Thoutmosis connut aussi la grandeur. Le sphinx des pyramides est un portrait colossal de Thoutmosis III. C’est aussi son nom qu’on lit sur l’obélisque de Saint-Jean de Latran, le plus grand des obélisques connus. A Karnac, l’édifice qu’on appelle le palais de Thoutmosis serait grand partout ailleurs que dans le voisinage de la salle des Ramsès.

A un des angles de ce palais de Thoutmosis était une petite chambre fameuse sous le nom de chambre de Karnac. Elle n’est plus à Thèbes, mais à Paris. M. Prisse, après avoir surmonté de grandes difficultés et des obstacles de tout genre, est parvenu à emporter les parois de la salle, et il en a généreusement fait don à la France. M. Lepsius, qui n’avait pas eu nouvelle de cet enlèvement, a cherché, dit-on, pendant quelque temps la chambre de Karnac sans pouvoir comprendre comment il ne la trouvait pas. On dit aussi qu’il avait le dessein de faire ce qu’a fait M. Prisse, si celui-ci ne l’avait devancé. Du reste, M. Lepsius a noblement exprimé sa satisfaction que ce précieux document historique fût soustrait aux chances de destruction qui menacent les monumens de l’Égypte.

Les murs de la chambre de Karnac montrent le roi Thoutmosis III offrant un hommage religieux à une suite de princes qui l’ont évidemment précédé. L’image de chaque personnage est accompagnée de son nom ;

  1. Il faut joindre encore aux monumens de cette époque reculée, remarquables par la beauté de l’exécution, les deux statues d’Osortasen Ier, conservées au musée de Berlin, et les admirables peintures des grottes de Beni-Hassan, tracées sous Osortasen II.