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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/102

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l’armée qui va la gagner. Il fut un temps où les Rhénans avaient peur de se mêler à leurs concitoyens de l’est, parce qu’ils craignaient de perdre dans un rapprochement trop intime les institutions qu’ils doivent à l’ancienne occupation française. Ils sont sûrs aujourd’hui de porter partout avec eux ces gages glorieux d’une révolution qui a travaillé pour le monde ; ils croient à la vertu communicative de leur foi politique et sociale ; ils demandent à faire leurs preuves sur la plus large arène qu’on puisse leur ouvrir, dans un libre parlement institué pour toute la monarchie, parce qu’ils savent qu’ils y trouveront bientôt plus d’amis et d’alliés que d’adversaires où d’envieux. Leur code, leur procédure, leur jury, leur état civil, ce sont là des biens que l’Allemagne entière aujourd’hui apprécie et désire, que le gouvernement prussien est lui-même insensiblement obligé de dispenser à la généralité de ses sujets. On a pu voir au sein de la diète combien la jouissance permanente de ces solides avantages avait développé d’intelligence politique parmi les Rhénans ; ils avaient des orateurs et des tacticiens déjà tout prêts dans cette jeune assemblée. Ceux-là sans doute, les plus habiles, les plus clairvoyans, ont dit très haut qu’ils n’étaient pas et ne voulaient pas être Français. Qu’importe maintenant, puisqu’ils ont absorbé la substance même, l’ame de la France ? Il y a pour l’esprit moderne des conquêtes plus sûres que celles du sabre ; j’aime mieux nos idées et nos lois à Berlin que nos canons sur Coblentz.

A Posen aussi nous avons laissé de nous-mêmes, et les souvenirs du grand-duché de Varsovie se mêlent plus ou moins aux invincibles souvenirs de l’ancien royaume de Pologne. Il y a quelque chose de touchant dans ces sympathies obstinées que la France inspire encore à toutes les branches de la famille polonaise ; on se sent attendri par cette affection lointaine comme par la reconnaissance d’un malheureux pour lequel on a fait bien moins qu’on n’aurait dû faire. Aussi comment parler des souffrances et des plaies de la Pologne sans la plus respectueuse émotion ? Comment même penser à ses fautes sans chercher toujours à les excuser ? Cette race valeureuse plaît par un charme qui n’est qu’à elle ; ce qui séduit chez cette nation de gentilshommes, ce n’est point la politesse apprise dans les salons de Paris ou de Vienne, c’est une noblesse naturelle et spontanée comme celle de l’Arabe et du sauvage, une vivacité d’instinct que les dehors d’un monde raffiné ne suffiraient point à couvrir, si ces ames flexibles n’avaient en même temps sur elles-mêmes un empire assez fort pour aller au besoin jusqu’à la dissimulation. Otez l’habit du Polonais le mieux rompu à nos mœurs, le mieux plié aux habitudes de notre vie civilisée, vous trouverez sous cette première écorce dont il s’est si facilement revêtu, vous trouverez au fond de son cœur je ne sais quoi de chevaleresque et de rusé qui sent encore le barbare ; mais c’est un barbare de l’Orient, et