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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/1088

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diverses de ce conflit, sans laisser échapper aucune occasion de s’en faire une arme ou un moyen, et, comme la pensée libérale des patriotes magyares ne lui causait pas moins d’alarmes que le réveil des races, elle avait dû songer dès l’origine à diviser les Magyares contre eux-mêmes, pour paralyser ainsi le mouvement social. Elle était donc parvenue, à l’époque même de cette grande crise, en cette fâcheuse année 1837, à constituer en Hongrie un parti conservateur ou plutôt un parti de l’immobilité, qui menaçait de n’être pas moins funeste à ce pays que la lutte des races jouant sous les yeux de César le jeu des gladiateurs.

Certes, si l’on considère l’étendue de la tâche qui incombait alors au parlement hongrois, quel était l’état des personnes et des choses au point de vue social et politique ; si l’on se rappelle que la licence était organisée sous le nom de liberté au sein des comitats, que la diète, par le moyen de la première chambre, était livrée à l’égoïsme de la haute aristocratie, que la décentralisation rendait toute administration impossible ; si l’on se représente, en un mot, le désordre des codes, des coutumes, des privilèges locaux, l’on conçoit comment des hommes éclairés ont pu se trouver en désaccord sur les parties qui étaient à conserver, ou à réparer, ou même à détruire dans cet édifice informe. Il fallut, pour le malheur du pays, que la rivalité des races vint ajouter de nouvelles difficultés à cette confusion des intérêts sociaux. La noblesse magyare, beaucoup plus nombreuse que la noblesse illyrienne dans la diète de Presbourg, avait sans doute conservé l’influence dirigeante en matière législative. Elle était en majorité dans le parti conservateur comme dans le parti progressiste. Cependant, lorsque les votes se déplaçaient ou devenaient douteux, la noblesse illyrienne formait un appoint qui pouvait être décisif. L’Autriche avait ménagé au parti conservateur l’adhésion des Illyriens par une tolérance calculée, des concessions indispensables, et surtout de belles promesses. Elle avait demandé de semblables services aux évêques roumains en Transylvanie, aux mêmes conditions et avec autant de succès. Par penchant, les Illyriens eussent voté avec les libéraux, car, sous le régime de l’aristocratie, ils ont conservé le souvenir de la démocratie patriarcale qui est le fond des civilisations slaves, et ils ne sont pas tout-à-fait indifféreras aux charmes de la démocratie moderne. Par une impérieuse nécessité, les organes religieux de l’intérêt roumain se fussent prononcés énergiquement pour toutes les améliorations sociales et politiques, car il n’est point de misère plus profonde et plus évidente que celle des Roumains de la Transylvanie. Toutefois, en présence de cette alternative, ou de développer la condition sociale de leur pays en subissant le magyarisme, ou de sauver et de régénérer leur nationalité en servant les défiances de l’Autriche, les Illyriens et les Roumains avaient fait le choix le plus patriotique. C’est ainsi que la divergence des intérêts de classe et de race avait créé celle des systèmes et décidé de la formation et de la marche des partis constitutionnels.

Dans le débat des réformes sociales qui étaient à l’ordre du jour, la victoire demeura aux conservateurs et à l’Autriche. Indépendamment de cette défaite, la Hongrie libérale se vit affligée de deux blessures profondes. Des deux hommes qui l’avaient jusqu’alors le plus aimée et le mieux servie, l’un lui était arraché par la persécution, l’autre semblait faiblir dans sa foi. Széchényi, en présence des manifestations tumultueuses qui avaient ensanglanté les dernières assemblées de comitat, ne dissimulait plus l’effroi que lui causaient les principes d’agitation