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des Slovaques défendus par un journal de leur nationalité à Presbourg, l’attitude menaçante des Valaques énergiquement secondés par leurs évêques et par plusieurs écrits périodiques, toutes ces marques du péril qui augmente avec le temps, ont jeté dans l’opinion de secrètes terreurs sur lesquelles on aime à s’étourdir, que l’on oublie quelquefois, mais que la force des événemens doit ramener inévitablement. Les Magyares de la Transylvanie, pressés par leurs paysans de race roumaine, et mieux placés pour sentir toute la difficulté des circonstances, trahissent plus clairement encore le désespoir dont ils sont par momens saisis, et ces vœux de réunion officielle en royaume, qui étaient naguère un simple et, chaleureux élan de fraternité, renouvelés depuis avec plus d’instance, ont fini par ressembler à des mouvemens d’effroi et à des signaux d’alarme.

Ce sont là de cruelles déceptions : heureusement le fruit n’en a point été entièrement perdu. Le magyarisme, satisfait d’avoir porté des lois pour que l’idiome national fût partout substitué au latin et d’avoir tiré comme du néant une littérature nationale, a cru pouvoir se reposer dans l’attente d’une situation plus calme et plus propice ; il s’est réservé d’ailleurs de marcher à son but permanent par des détours, ne le pouvant plus à visage découvert. La pensée publique, moins occupée désormais de la question des races, a paru s’attacher presque exclusivement à l’étude et au soin des intérêts constitutionnels et sociaux de la Hongrie, ce qui peut d’ailleurs être une manière de prendre l’Autriche corps à corps par son côté le plus douloureux et aussi un moyen d’éloigner les catastrophes sociales dont se complique la guerre des nationalités. Les hommes nouveaux qui ont succédé aux champions défaillans, abattus ou égarés du magyarisme primitif ont su se distinguer du parti ultra-magyare, sans néanmoins s’en séparer, et, sous le nom de progressistes, ils ont réussi à fonder un grand parti constitutionnel qui ne se contente pas de menacer et de vaincre quelquefois l’Autriche sur le sol hongrois, mais qui la poursuit chez elle par une active et heureuse propagande[1].

Outre les concessions que ce parti a déjà arrachées aux conservateurs au profit de la roture, qui peut désormais acheter des biens nobles, il a formulé par écrit des programmes hardis et catégoriques. Fort éloigné de croire à la perfection

  1. Parmi les chefs de ce parti dont l’origine remonte à 1837, je dois citer MM. Déak et Clausal, orateurs éminens de la seconde chambre ; le baron Eotvos, écrivain disert, et destiné peut-être à une grande popularité ; enfin le journaliste Kossuth, au sujet duquel les opinions sont fort partagées, mais qui exerce néanmoins une certaine influence. Ce dernier a rédigé long-temps le Pesti-Hirlap (journal de Pesth), et vient d’être nommé député par le comitat de Pesth. Széchényi, qui avait rendu naguère tant de bons services au pays, avait eu cependant en 1840 la malheureuse idée de combattre le libéralisme de ce parti nouveau ; il l’avait fait par une publication intitulée le Peuple de l’Orient, dans laquelle il essayait d’établir qu’il n’y a point de salut pour la Hongrie en dehors de l’aristocratie parlementaire. Cet écrit fut l’occasion d’une grande polémique dans laquelle le Pesti-Hirlap prit une part très distinguée. Le baron Eotvos et Kossuth relevèrent d’ailleurs la question dans des publications de longue haleine. A la même époque, le comte Aurel Desewfy défendait, dans le journal le Vilag (la lumière), le système de la centralisation administrative qui répugne à peu près également aux conservateurs et aux libéraux.