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Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/1123

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encore aujourd’hui la polémique anti-constitutionnelle, sait-on qui le premier l’a énoncé dans toute son énergie, dans toute sa crudité ? C’est le vainqueur de l’Italie, c’est le général Bonaparte. Il y eut un jour où la France, lasse de la vieille monarchie qu’elle venait de mettre à bas, lasse de la république dont elle venait de subir les excès, songea à un gouvernement plus durable et plus doux qui lui donnât l’ordre et la liberté, ou plutôt Sieyès, le même homme qui avait le premier prophétisé les destinées du tiers-état, y songea pour elle. S’armant d’une égale défiance et contre la démagogie et contre le despotisme, Sieyès produisit une constitution destinée à équilibrer la force du pouvoir et l’action populaire. Cette combinaison profonde, c’était au fond tout simplement le gouvernement représentatif. Rien n’y manquait, ni sa chambre des représentans, ni son sénat conservateur, ni même son roi constitutionnel. Seulement, comme il fallait ménager les esprits, ce roi constitutionnel s’appelait le grand électeur, et sa place n’était ni amovible ni héréditaire. Représentant de la république, le grand électeur était réduit au rôle de nommer les chefs actifs du gouvernement et à une haute médiation entre les pouvoirs. Or, quelle objection le général Bonaparte fit-il à ce grand électeur ? Cette objection, on la prévoit facilement il l’appela un roi fainéant, il railla cette fastueuse inaction, il prédit que le grand électeur userait de son pouvoir d’élire les plus hauts fonctionnaires de l’état pour gouverner par l’intimidation ou la séduction ; il trouva en un mot insoutenable, impossible, ridicule, la situation faite à ce personnage, et l’approuva d’avance d’en sortir par l’usage et par l’abus de sa prérogative. Or, ne sont-ce pas là encore les raisons qu’invoque à tout propos la polémique monarchique anti-constitutionnelle ? Y a-t-il là rien de changé, même quant à la forme ?

La restauration fut l’ère héroïque du gouvernement représentatif. C’est aussi le temps de ses plus rudes épreuves. Nous n’insisterons pas sur le caractère des argumens qui furent dirigés contre la charte, cette transaction politique, née de la fatigue des principes extrêmes et des excès de tous les genres de despotisme. Le droit divin fit alors en grande partie les frais de la polémique anti-constitutionnelle. Cependant, comme le droit divin se pose comme un fait sacré plutôt qu’il ne s’établit par la discussion comme un système, il fallut bien chercher des raisons en dehors du droit divin, et ces raisons furent tirées, comme toujours, de la peur du désordre et de l’incompatibilité des pouvoirs. M. Fiévée, qui devait plus tard déclarer que, « dans le gouvernement représentatif, l’initiative royale est une absurdité et que le ministère ne peut ni ne doit se maintenir sans la majorité, » en 1814 écrivait : « Le gouvernement, c’est le roi ; les ministres sont les serviteurs du roi ; les chambres sont ses conseils. » Benjamin Constant, qui a tant fait pour l’éducation constitutionnelle de la France, et dont l’honneur est d’avoir bien marqué la distinction du pouvoir royal et du pouvoir exécutif, Benjamin Constant montra dans le roi « un être à part, supérieur aux diversités des opinions, n’ayant d’autre intérêt que le maintien de l’ordre et le maintien de la liberté, planant en quelque sorte au-dessus des agitations humaines, » placé « dans une sphère inviolable de sécurité, de majesté, d’impartialité, qui permet aux dissentimens de se développer sans périls. » Mais la polémique anti-constitutionnelle offre sous la restauration un phénomène tout-à-fait digne d’être recueilli par l’histoire. Par une de ces singulières volte-faces qui intervertissent le rôle des partis, on vit, en 1815,