Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/1125

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est tiré du génie de la France. M. Martin ne voit dans cette forme de gouvernement qu’une importation de l’Angleterre mal acclimatée parmi nous. Un des caractères les plus saillans de l’esprit français, selon M. Martin, c’est l’unité : or, le gouvernement constitutionnel, résultat de transactions entre différens principes aux prises et imitation inintelligente des institutions étrangères, est incapable, par ses divisions intérieures et par sa triplicité menteuse, de satisfaire ce besoin d’unité qui caractérise à un si haut degré et le génie, et l’histoire, et la politique de la France. Il ne donne lieu qu’à une fausse monarchie, à une fausse aristocratie, à une fausse démocratie. L’esprit français, par un privilège qui n’est accordé qu’à lui seul, unit à un esprit critique très développé une sympathie vive, ouverte à tous ; si l’Allemagne représente plus spécialement l’intelligence, l’Angleterre l’activité, la France représente surtout le sentiment qui les unit et qui les féconde ; de là cet instinct d’égalité si profond et si inné qu’il a commencé à mêler les classes avant même qu’il se fût formulé dans les codes ; de là cet esprit de propagande qui est le génie moral de la France ; elle souffre si elle ne se répand au dehors, « elle meurt de l’égoïsme, comme l’Angleterre en vit. » Or, que fait le gouvernement représentatif ? Il viole tellement l’égalité, que la démocratie n’a au fond aucune part au pouvoir politique, et l’assemblée soi-disant démocratique représente non le sentiment du peuple, mais l’intérêt des classes riches. Le gouvernement constitutionnel ment tellement à la destinée de la France, qu’il a adopté pour la politique extérieure le principe de la non-intervention, et qu’il proclame hautement que le sang de la France n’appartient qu’à elle seule. Oligarchie financière, pouvoir divisé en lui-même, nation réduite à la voie des doléances, individualisme, morcellement de l’esprit politique aussi bien que du sol, voilà les fruits du gouvernement représentatif suivant M. Henri Martin ; voilà où en est réduit, grace à la plus fausse des combinaisons, le plus spiritualiste, le plus unitaire, le plus logique et le plus expansif des peuples européens.

Je n’ai point à faire la part de l’exagération dans les critiques adressées par M. Henri Martin aux vices du présent état de choses. Je reconnais que la verve qu’il met à décrire les abus et les erreurs de l’industrie, du commerce, de l’administration, de la justice, de l’instruction publique, des mœurs, de la politique enfin, n’est pas toujours en pure perte, et que plus d’un vice grave est touché au doigt et jugé avec une sévérité légitime par M. Martin. Qui pourrait prétendre que la société actuelle soit je ne dis pas parfaite, mais ait atteint tous les développemens, accompli tous les progrès possibles et rendu inutiles le travail de l’avenir et le génie des futurs hommes d’état ? Personne en France ne pousse à ce degré l’optimisme ; mais, quand M. Henri Martin aurait affaibli autant qu’il a chargé les couleurs du tableau, que prouve ceci, et en quoi ces abus qu’il déroule concluent-ils contre le gouvernement représentatif constitutionnel ? Est-ce lui qui les a créés, ou ne sont-ils pas plutôt l’héritage du passé ou la conséquence d’une révolution qui, occupée à bouleverser une organisation pleine d’abus, n’a pas encore eu le temps de résoudre toutes les questions et de parer aux souffrances que la rupture violente des anciens liens a dû nécessairement amener ? Nous finissons à peine une lutte qui a duré sans relâche plus de quarante années, et contre l’ancien régime au dedans, et contre l’Europe armée au dehors, et il y a des esprits qui s’étonnent que tous les problèmes d’économie sociale qu’on soupçonnait à peine il y a vingt ans, que ces problèmes qui tiennent