Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/1127

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui est un point immense, quoi qu’on en dise ; il ne les ajourne qu’au nom de l’opportunité. Ensuite, est-ce bien en face d’une opposition nombreuse, occupée sans cesse à les revendiquer sans avoir besoin pour cela de franchir une minute la constitution, d’une opposition à laquelle ne manquent pas, toute bourgeoise qu’elle est, les sympathies pour le peuple, est-ce en face, dis-je, d’une telle opposition qu’on est bien venu à dire que la bourgeoisie se ferme, se claquemure, se ligue et se serre pour empêcher le peuple d’arriver ? On parle d’oligarchie financière, de culte des intérêts. Eh bien ! combattez ces symptômes, ces dangers : vous aurez dans le camp de la classe moyenne un parti fort nombreux pour vous applaudir ; mais de quel droit concluez-vous à la proscription de toute une classe ? De quel droit prétendez-vous qu’elle a résolu de s’opposer à l’élévation progressive, qu’elle ne fait rien, qu’elle ne veut rien faire pour l’éducation morale, pour l’amélioration matérielle du sort du peuple ? Votre erreur est, en vérité, bien complète. Vous voyez dans la classe dominante l’obstacle au progrès ; elle en est, au contraire, dans les desseins providentiels et par la marche forcée de l’histoire, l’instrument inévitable, le seul qui ne tourne pas, dans l’état actuel et pour long-temps encore, contre ceux-là même que vous entreprenez de défendre.

Sur le gouvernement représentatif, la théorie de M. Henri Martin ne nous paraît pas plus ferme. Son argument particulier, tiré du besoin de logique, d’unité, d’expansion qui distingue le génie de la France, peut être facilement retourné contre lui. L’esprit français, peut-on dire, a besoin d’unité : il est expansif, cela est vrai ; il représente l’alliance, pour parler le langage un peu abstrait que l’école radicale historique applique à l’histoire, de la variété et de l’unité, et c’est pour cela même qu’il a fondé un état de choses qui tient compte à un si haut point et de l’une et de l’autre. N’est-ce donc pas l’unité constituée que la centralisation française ? et le gouvernement représentatif avec ses pouvoirs de diverses sortes, qu’est-il sinon la variété organisée ? Bien loin de se gêner et de se contredire, ces deux élémens se soutiennent, se complètent et sont, par leur réunion, une garantie de stabilité et de progrès. Et n’est-ce pas une pleine satisfaction accordée à ce besoin d’expansion et d’égalité inné dans le génie français que cet article de la charte qui permet aux chambres d’étendre indéfiniment le nombre des électeurs ? C’est le propre du gouvernement représentatif de trouver en lui-même des ressources pour se modifier sans se détruire, comme de la bourgeoisie de pouvoir communiquer ses droits sans les perdre.

Au fond, ces idées, tout hostile que s’y montre en général M. Henri Martin, ne rencontrent pas toujours en lui un adversaire aussi décidé que le ferait penser la rigueur de ses conclusions. Il y a deux esprits dans le livre de M. Henri Martin, l’un qui corrige souvent dans la note ce qu’il enseigne dans le texte, qui modifie sous forme de parenthèse ce qu’il affirme dans la phrase, qui, en attaquant la société présente et le mécanisme gouvernemental, rend justice aux principes fondamentaux de la charte et à la libéralité d’un grand nombre de ses dispositions : c’est l’esprit de l’historien qui a déroulé nos annales d’une façon grave et consciencieuse. C’est cet esprit-là qui sait rendre hommage à la majesté de nos codes, à la force et à la grandeur de notre mécanisme administratif ; séparant le principe qu’il loue et qu’il maintient de telle ou telle application qu’il